L’état du Québec 2023 | Urgence climatique, agir sur tous les fronts

Lutter pour la dignité des sans-papiers en temps de crise climatique: Portrait d’Aboubacar, militant au sein du réseau de justice migrante Solidarité sans frontières (SSF)

Crédit : Bob August / CC BY-NC-SA 2.0
Photo : Louis-Etienne Foy / Unsplash
  • Albert Lalonde
Ce texte est issu la publication annuelle de l’INM, L’état du Québec 2023, publiée chez Somme Toute / Le Devoir.

Que ce soit dans la rue, devant les tribunaux, ou face à leurs parents et grands-parents, les jeunes sont en première ligne des mouvements sociaux contre les changements climatiques. À ce titre, nous avons souhaité ouvrir la conclusion de L’état du Québec 2023 à des jeunes Québécoises et Québécois engagés. Ils et elles signent quatre portraits présentant des figures d’avenir qui les inspirent. Ces portraits sensibles font le récit de parcours de vie individuels, reflets de l’histoire collective d’une génération qui fait face au plus grand défi du siècle.

Quand Aboubacar – que l’on appelle aussi Bouba – s’empare d’un mégaphone, il fait vibrer la foule et toute la manifestation s’anime de la fougue de celles et ceux qui sentent que le changement est inéluctable. Militant au sein du réseau de lutte pour la justice migratoire Solidarité sans frontières (SSF), il se mobilise quotidiennement pour que les gouvernements canadien et québécois respectent les droits fondamentaux des personnes migrantes comme lui.

C’est sur le front qu’Aboubacar se mobilise et fait vivre son histoire au sein d’un mouvement collectif qu’il décrit comme «un seul et même combat pour la justice climatique et sociale». Lorsqu’il a été convoqué pour planifier son expulsion, il était seul, sans argent ni aide pour régulariser son statut migratoire. Un mandat d’arrêt a été lancé contre lui, puis le propriétaire de son logement l’a dénoncé à la police à la suite d’un différend. Incarcéré au Centre de surveillance de l’immigration de Laval, un codétenu lui a donné le numéro de la ligne de soutien bénévole de SSF destinée aux personnes migrantes en détention et offrant de l’aide médicale, des produits d’hygiène, des vêtements adéquats et des appels de soutien.

Et puis la pandémie est arrivée. Toute la société s’est drastiquement mise à l’arrêt pour sauver des vies, et rien n’a changé dans la prison. «À la télévision, on voyait qu’au-dehors, il y avait toutes ces mesures qui étaient prises, mais, à l’intérieur, il n’y avait rien. On était tout le temps entassés dans la cafétéria ou dans des endroits communs petits et fermés, il n’y avait aucune protection et pas de tests. On se sentait vraiment exposés», raconte-t-il. Des personnes aînées, mineures seules et des familles avec enfants comptent parmi la population carcérale.

Aux inquiétudes profondes des codétenus d’Aboubacar, un responsable répond froidement que « rien ne va se passer, la machine continue». Ils s’organisent alors, lançant d’abord une pétition. Puis, face à l’urgence et las d’être ignorés, ils entament une grève de la faim qui dure dix jours avant que les autorités ne commencent à les libérer au cas par cas, jusqu’à ce que la pression suffise à quasiment vider le centre.

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Depuis sa libération, Aboubacar s’investit sans relâche auprès de SSF pour que les 1,7 million de personnes sans-papiers ou à statut migratoire précaire vivant au Canada obtiennent la résidence permanente et afin qu’elles cessent d’être placées dans une position juridique favorisant leur extorsion et leur exploitation
de la part des employeurs, des propriétaires de logements et des agences de placement, en plus de les priver d’accès à nombre de services publics essentiels. C’est sans mentionner la menace inhumaine que constituent l’emprisonnement et l’expulsion de personnes qui vivent et travaillent au Québec et enrichissent
chaque jour la société québécoise.

Il se confie : «Au centre, je ne l’ai pas dit, mais je savais que j’allais être libéré et que je n’avais pas besoin de faire la grève de la faim. Mais le fait qu’ils ne nous considéraient pas comme des êtres humains égaux, ça m’a révolté».

Aboubacar, c’est le refus de laisser quiconque derrière, c’est la révolte face aux inégalités, c’est l’intransigeance sur les droits de la personne qui est requise pour éviter des drames humanitaires terribles, alors que les crises que nous vivons partout autour de la planète sont sans précédent.

Au cours de la dernière décennie, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime que les événements météorologiques ont déclenché en moyenne 21,5 millions de nouveaux déplacements chaque année, soit plus de deux fois plus que les déplacements causés par les conflits et la violence. Dans ce contexte, on pourrait compter jusqu’à 200 millions de déplacés climatiques à l’horizon 2050, alors que le statut de « réfugié climatique » n’est toujours pas reconnu par la Convention de Genève de 1951.

Albert Lalonde a été co-porte-parole du collectif Pour le futur Montréal, et participe à l’organisation des grèves pour le climat des vendredis dans les écoles secondaires depuis 2019. Iel est membre fondateur et ex-co-porte-parole de la CEVES, la coalition étudiante organisant les grèves et les manifestations mondiales pour la justice climatique à Montréal, Québec et Sherbrooke depuis 2019. Albert poursuit aux côtés de 14 autres jeunes le gouvernement canadien pour sa responsabilité dans la crise climatique. Iel travaille en tant que consultant·e au sein de la Fondation David Suzuki.