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S’écouter pour l’après

Avec Marouane Joundi, chargé de projets en changements climatiques à l’Union des municipalités du Québec

Pourriez-vous nous parler un peu de votre parcours, tant au niveau de l’engagement que dans les sphère professionnelle ?

Je suis arrivé au Québec il y a exactement cinq ans, après trois ans en France et 17 ans au Maroc. Je suis d’abord venu pour un échange étudiant alors que je finissais mon baccalauréat en science politique puis j’ai poursuivi en maîtrise dans le même domaine à l’Université de Montréal. Je travaille en ce moment à l’Union des municipalités du Québec sur des projets qui touchent aux changements climatiques et à la langue française, deux questions qui m’intéressent énormément.

Dans mon parcours académique, j’ai beaucoup travaillé sur les mouvements environnementaux parce que, justement, en arrivant au Québec je me suis impliqué dans ce milieu. J’ai été un des co-porte-paroles du groupe « La Planète s’invite à l’Université » qui a organisé en 2019 des manifestations pour réclamer de l’action climatique après un rapport du GIEC particulièrement alarmant. Ses conclusions impliquaient qu’il restait l’équivalent de douze années pour essayer de limiter l’augmentation de la température moyenne à 1,5 degré Celsius. Comme pour beaucoup de jeunes, ce constat m’a vraiment marqué. Mais au Québec, on peut compter sur un écosystème écologiste solide, intergénérationnel et « tissé-serré » qui a permis une mobilisation inédite sur la question climatique.

J’ai eu la chance de découvrir le Québec, sa culture, sa politique, son histoire et ses territoires grâce à cette implication. J’ai d’ailleurs dédié mon mémoire de maîtrise au débat médiatique qui entourait les mobilisations pour le climat, en particulier à la polarisation qu’il a générée et aux moyens de dépolariser cette question.

Est-ce que vous vous souvenez de votre première participation à une école de citoyenneté de l’INM ?

C’était à l’École d’influence, en 2019. Je venais d’arriver au Québec et je ne m’impliquais nulle part à ce moment-là. En fait, je ne savais pas encore que c’était possible de s’engager socialement et politiquement au Québec quand on vient d’arriver et je craignais d’être perçu comme illégitime car « étranger ».

J’ai pu y rencontrer des personnalités publiques, politiques et médiatiques inspirantes qui nous partageaient leurs parcours, leurs difficultés, leurs conseils de vie. Avec cette proximité, nous avions accès à ce qu’on ne voit pas à la télé, à l’humain derrière l’image.

La meilleure chose que j’ai tirée de cette première participation a été de savoir que même sans être citoyen sur papier, au sens formel du terme, on peut être citoyen au sens symbolique. On peut être de celles et ceux qui se soucient de la vie dans la Cité et des autres qui y vivent, qui veulent contribuer à l’intelligence collective pour résoudre les problèmes qui s’y posent et qui sont accueillis là-dedans. Et je pense que c’est vraiment beau de voir ce sens noble et symbolique de la citoyenneté et de la démocratie à l’œuvre ici au Québec et grâce notamment à l’Institut du Nouveau Monde.

Quel est votre meilleur souvenir de vos participations aux activités de l’INM ?

J’en ai plein ! Un excellent souvenir a été l’École d’hiver 2019 à Québec car j’y ai rencontré des amies chères. Il y a eu aussi ce soir où on a fait « l’école buissonnière » pour aller voir les Chutes Montmorency en plein hiver. C’était la première fois que je les voyais et que je voyais des chutes aussi imposantes de ma vie. J’étais bouche bée face à ces chutes éclairées par les projecteurs et en grande partie glacées.

Plus récemment, à l’École d’été l’année dernière, j’ai eu la chance de suivre le parcours Médias et de faire partie d’une petite équipe d’apprentis reporters dont la mission était de photographier et d’interroger les chefs des partis politiques provinciaux, en pleine campagne électorale provinciale à l’occasion du débat organisé par l’INM. C’est une excellente opportunité, drôle et inhabituelle et j’ai pu y goûter deux de mes passions, la politique et les médias.

Quel impact croyez-vous que votre passage dans les Écoles de citoyenneté de l’INM a eu sur votre parcours ?

Je dirais que c’est un impact par ricochet parce qu’une fois l’École d’influence terminée, je me suis empressé de m’inscrire à l’École d’hiver sur le thème « Climat d’avenir ». C’était une fin de semaine à Québec, nous étions 200 jeunes qui dormions tous au Cégep et il y avait une très belle ambiance. J’y ai fait la connaissance de Dominic Champagne, metteur en scène qui a lancé le « Pacte pour la transition », un appel d’une quarantaine d’artistes et de personnalités publiques pour demander une action politique forte sur le climat. Son discours très éloquent et inspirant m’avait sensibilisé. Cette école a marqué le début de mon engagement pour l’action climatique.

Immédiatement après, par ricochet, j’ai rejoint la Planète s’invite à l’Université et l’été suivant, j’ai eu une job étudiante au Pacte pour la consultation des « 101 Idées pour le climat ». Cette expérience m’avait donné suffisamment de courage pour m’impliquer plus résolument dans le mouvement étudiant pour le climat à titre de co-porte-parole universitaire. Par ricochet, ce nouveau rôle a été une fenêtre sur le monde fascinant des médias au Québec.

La première entrevue que j’avais eue était à Radio X, une station de radio très conservatrice à Québec. Personne ne voulait faire l’entrevue. Moi, je venais d’arriver, je ne connaissais pas vraiment Radio X et je me disais qu’on devait parler à tout le monde. Et ça encore, par ricochet, m’a fait réaliser l’ampleur de la polarisation et des réalités parallèles qui existent sans se parler ni même réaliser qu’elles existent. J’ai donc dédié mon mémoire de maîtrise à ce sujet qui ne cesse de m’habiter encore aujourd’hui

Qu’est-ce que ça signifie, pour vous, avoir 20 ans ?

Ah, j’aimerais y retourner à mes 20 ans… Non, je rigole, j’ai 25 ans, ça va ! 20 ans, c’est quand même un petit bout de siècle, une étape importante. On commence à se projeter dans le temps long, à l’échelle de toute une vie voire à l’échelle de l’histoire.

À 20 ans aussi, les responsabilités émergent. On s’interroge sur sa trajectoire : certaines choses s’éclaircissent, certaines passions se confirment, certains choix importants se font et certains renoncements aussi. Il y a donc ce côté grave et sérieux et aussi la soif de vivre, de profiter de la vie et de la croquer à pleines dents.

Mais avoir 20 ans à notre époque, c’est inquiétant. À quel point peut-on se projeter dans le futur avec les crises actuelles et à venir? 20 ans à notre époque, c’est un âge qui appelle à une forme de résistance au désespoir pour que l’on puisse vivre aussi longtemps que nos parents et aussi heureux qu’on le peut. Et si on veut nous-mêmes avoir des enfants qui auront 20 ans un jour et qui pourront profiter de la vie à leur tour, il faut qu’on se ressaisisse, qu’on réfléchisse et qu’on agisse !

Et avoir 20 ans pour une organisation comme l’INM, c’est le moment de récolter ce qu’on a semé, de faire le bilan de tout ce qu’on a fait et de toutes les personnes qu’on a rassemblées, d’évaluer à quel point notre mission est encore pertinente. La question démocratique se pose plus que jamais en ce moment alors la mission de l’INM a encore de longues décennies devant elle, pourvu qu’on réussisse à la préserver et à la réinventer, notre belle démocratie.

Qu’est-ce que vous souhaitez aux générations futures du Québec ?

Je nous souhaite la curiosité et la patience d’écouter et de comprendre l’autre, que ce soit l’autre qui vit dans une contrée éloignée ou qui vit dans une réalité politique opposée.

Je nous souhaite une grande dose d’imagination, de créativité et d’audace. Notre modèle démocratique n’a pas été conçu pour supporter les niveaux de polarisation que l’on observe et n’est pas en mesure de répondre durablement aux crises que l’on traverse. Il faut imaginer une culture démocratique qui intègre et valorise les désaccords et leur expression respectueuse pour qu’ils soient compris et fassent émerger les idées de demain.

Je nous souhaite de la concentration pour régler nos problèmes alors que le brouhaha informationnel et numérique détourne notre attention à une ampleur que l’humanité n’a jamais vue de son histoire.

Je nous souhaite enfin de conserver notre joie de vivre, de nous rassembler et d’espérer.

Photo de Valérie Dubuc

Façonner un monde plus juste, avancer ensemble, entretenir la flamme de la jeunesse. Dans le cadre des 20 ans de l’Institut du Nouveau Monde, nous avons demandé à 20 personnalités étant passées par les écoles de citoyenneté de l’INM de nous parler de leur parcours et de leur vision de la participation citoyenne. Quelle a été l’étincelle de leur engagement ? Qu’est-ce que ça signifie d’avoir 20 ans ? Que souhaiter aux générations futures ? À travers cette collection de portraits intimes et colorés, ils et elles nous racontent l’histoire d’un Québec pluriel et résolument tourné vers l’avenir.

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