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Décoloniser les esprits

Avec Widia Larivière, cofondatrice et directrice générale de Mikana

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? 

Je m’appelle Widia, je suis cofondatrice et directrice générale de l’organisme Mikana. Mikana est un organisme autochtone à but non lucratif dont la mission est de sensibiliser différents publics sur les réalités et perspectives des peuples autochtones, notamment à travers l’éducation, la sensibilisation, les partenariats et l’empowerment des jeunes Autochtones. Il a été fondé 2015, dans une perspective de lutte contre le racisme et contre la discrimination à travers l’éducation.

Pourriez-vous nous parler un peu de votre parcours, tant au niveau de l’engagement que dans les sphères politiques et professionnelles ?

Je suis née d’une mère Anishinabekwe et d’un père Québécois. Toute ma vie, j’ai grandi dans deux cultures complètement différentes et, assez tôt dans ma vie, j’ai réalisé le fossé énorme qui existait entre les mondes autochtones et allochtones. C’est dans parcours scolaire que j’ai commencé à m’impliquer pour créer des ponts entre Autochtones et Allochtones grâce à la sensibilisation et l’éducation.

C’est d’ailleurs au cégep puis à l’université que j’ai, à travers mes propres recherches, appris l’histoire de la colonisation des peuples autochtones. Ensuite, c’est grâce à des échanges avec ma mère que j’ai réalisé de quelles manières cela a affecté ma famille. C’est à ce moment-là que j’ai eu le déclic pour m’impliquer pour la décolonisation et le respect des droits des peuples autochtones.

Vous souvenez-vous de votre première participation à une activité de l’INM ?

En 2009 j’ai commencé à travailler chez Femmes autochtones du Québec en tant que coordonnatrice jeunesse. Je savais qu’en 2008, il y avait eu une édition spéciale de l’École d’été de l’INM pour le 400ᵉ anniversaire de la Ville de Québec, et une délégation de jeunes Autochtones avait participé à l’événement. L’ancienne coordonnatrice jeunesse m’avait partagé l’idée de rassembler à nouveau une délégation de jeunes Autochtones à l’École d’été de l’INM 2009, en collaboration avec d’autres organismes autochtones du Québec.

Ma toute première participation à une École d’été, ça a été à la fois en tant que participante et aussi en tant qu’employée de Femmes autochtones du Québec. À cette époque, il y avait des parcours spécifiques pour les jeunes Autochtones, co-monté en collaboration avec des organismes autochtones. Je me souviens aussi, quelques années plus tard, m’être impliquée dans l’élaboration d’un parcours sur les relations et collaborations entre Autochtones et Allochtones.

Quel est votre meilleur souvenir de vos participations aux activités de l’INM ?

J’ai un très beau souvenir d’une table ronde avec des artistes autochtones, notamment Émilie Monnet et Réal Junior Leblanc. Ces artistes répondaient à la question « Est-ce qu’un artiste Autochtone est un artiste engagé par défaut ? ». Cette discussion et le visionnement du court-métrage Blocus 138 – La résistance innue ont suscité beaucoup d’émotions et de réactions dans la salle, ainsi que des échanges vraiment enrichissants.

Quel impact croyez-vous que votre passage dans les Écoles de citoyenneté de l’INM a eu sur votre parcours ?

Participer en tant que panéliste et conférencière à des évènements de l’INM a renforcé ma confiance de porter ma voix, en tant que personne autochtone, dans les espaces publics allochtones. Souvent, en tant que personne autochtones engagée, différentes raisons nous poussent à penser que nos opinions se limitent aux milieux et enjeux autochtones. Mais ces expériences m’ont fait réaliser que nos opinions sont aussi valides que tous les autres dans les espaces de débats publics qui abordent des enjeux de société communs. Nous pouvons contribuer aux réflexions et aux pistes de solutions, avec nos regards uniques.

Je me souviens même avoir été sur une même table ronde que Bernard Landry. Je me suis dit « Wow, en ce moment mon opinion est au même niveau que celles de personnalités publiques québécoises importantes et qui ont beaucoup d’influence ». Je pense que de faire participer des personnes autochtones, surtout des jeunes Autochtones, non seulement en tant que personnes participantes dans des Écoles d’été, mais aussi dans des tables rondes et conférences, ça vient démontrer que les peuples autochtones ont aussi le droit d’avoir accès à des tribunes publiques dans lesquelles iels peuvent partager leur expertise et opinions à toute la société, au même niveau que des experts et personnalités publiques allochtones.

Qu’est-ce que ça signifie, pour vous, avoir 20 ans ?

Mes 20 ans ont été une époque de transition importante durant laquelle j’étais en questionnement sur mon identité et mes objectifs. Bien que je vivais beaucoup le syndrôme de l’imposteur, c’était malgré tout un tournant important dans ma vie car c’était aussi l’époque où j’ai commencé à m’impliquer pour la promotion des droits des peuples autochtones. J’ai tellement appris depuis, et ces expériences et apprentissages ont forgé mon parcours depuis.

20 ans, ça peut représenter un tournant important autant chez des individus que des organismes. Pour un organisme, 20 ans, c’est quand même quelque chose d’impressionnant et d’important à souligner. Bravo à l’INM ! Ayant moi-même cofondé un organisme, je peux dire que seulement en 5 ans, il s’est passé énormément de choses, alors je n’ose pas imaginer ce qu’il s’est passé en 20 ans pour l’INM. Je pense que les anniversaires, ça permet aussi de prendre le temps de célébrer les accomplissements et de faire le point sur comment on s’aligne aussi pour l’avenir.

Que souhaitez-vous léguer au Québec et aux générations futures ?

Dans le milieu autochtone, on a vraiment une perspective à plus long terme, notamment grâce au concept des sept prochaines générations. On a cette perspective à long terme quand on pense à nos actions et lors de prise de décisions collectives. En ce moment, j’ai l’impression de vivre dans un monde où on pense seulement aux quatre prochaines années, à moyen terme tout au plus, mais pas à long terme.

La société québécoise aurait aussi beaucoup à gagner si elle passait plus de temps à réellement écouter et considérer les perspectives, les opinions et les connaissances des peuples autochtones. Nous pouvons contribuer de manière significative aux réflexions face à des enjeux communs que nous vivons, notamment tout ce qui est en lien avec les luttes pour la justice sociale et climatique. Sur d’autres sujets aussi, comme le féminisme, les femmes autochtones ont beaucoup de perspectives très spécifiques à apporter.

Je pense également à des connaissances et perspectives qui existaient chez les peuples autochtones bien avant la colonisation et qui ont été chamboulées par celle-ci, comme nos propres concepts de neurodiversité, ou nos valeurs d’inclusion envers les personnes membres de la communauté deux-esprits/LGBTQIAA+. Je souhaite sincèrement que la société québécoise soit davantage à l’écoute des peuples autochtones, dans une perspective d’échanges et de relations de nation à nations.

Photo de Valérie Dubuc

Façonner un monde plus juste, avancer ensemble, entretenir la flamme de la jeunesse. Dans le cadre des 20 ans de l’Institut du Nouveau Monde, nous avons demandé à 20 personnalités étant passées par les écoles de citoyenneté de l’INM de nous parler de leur parcours et de leur vision de la participation citoyenne. Quelle a été l’étincelle de leur engagement ? Qu’est-ce que ça signifie d’avoir 20 ans ? Que souhaiter aux générations futures ? À travers cette collection de portraits intimes et colorés, ils et elles nous racontent l’histoire d’un Québec pluriel et résolument tourné vers l’avenir.

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