L’état du Québec 2024 | Quel avenir pour la démocratie ?
Repenser la Loi électorale du Québec
Photo de Glen Carrie sur Unsplash
- Jean-François Blanchet
Directeur général des élections du Québec - Avec la collaboration de Valérie Bouchard
Conseillère à la recherche à Élections Québec
Ce texte est issu de la publication annuelle de l’INM, L’état du Québec 2024, publiée chez Somme Toute / Le Devoir.
Depuis 1945, au Québec, l’organisation des élections et l’application de la Loi électorale sont confiées à une autorité indépendante : le directeur général des élections, nommé par l’Assemblée nationale. J’ai le privilège d’agir à ce titre depuis le 16 janvier 2023, après plus de trente ans de carrière au sein d’Élections Québec. Comme directeur général des élections, je peux recommander des modifications à la Loi électorale, mais seules les personnes élues peuvent la modifier. Cette loi, qui est sous ma responsabilité, date de 1989, et le moment est venu de la revoir.
Le contexte dans lequel se déroulent les élections québécoises aujourd’hui a bien peu à voir avec celui de la fin des années 1980. Des changements importants ont pris place tant sur les plans social, politique, économique, environnemental que technologique. La société québécoise n’est plus la même, et son rapport aux élections et à la démocratie n’est plus tout à fait le même non plus.
La Loi électorale aussi a changé, même si ces changements ne sont pas toujours apparents pour les électrices et les électeurs. Mentionnons, entre autres, la liste électorale permanente, créée en 1997; les modalités de vote par anticipation, élargies au début des années 2000; les grandes réformes du financement politique, survenues dans les années 2010 ; et les élections à date fixe, adoptées en 2013. Chaque fois, ces modifications ont visé des domaines spécifiques de la Loi, sans qu’elles s’inscrivent dans une réflexion globale sur le régime électoral du Québec.
Considérant les défis auxquels la démocratie électorale fait face, la Loi doit pouvoir évoluer pour continuer de répondre aux besoins et aux attentes de la société québécoise ; garantir et faciliter l’exercice des droits électoraux; et préserver l’intégrité et l’équité des élections.
Nous souhaitons entendre les personnes élues, les citoyennes et les citoyens, les spécialistes du domaine électoral et de la démocratie ainsi que les groupes intéressés sur les améliorations qu’ils souhaitent voir apporter au régime électoral québécois. Afin d’amorcer ce dialogue, nous avons rendu public un document de consultation, intitulé Pour une nouvelle vision de la Loi électorale. Nous y exposons les principaux enjeux auxquels la Loi est confrontée et les difficultés à surmonter pour la rendre plus pertinente et efficace. Nous formulons aussi des propositions d’améliorations. C’est sur cette base que nous mènerons des consultations. Tous les domaines de la Loi électorale sont visés. Nous les abordons brièvement dans ce texte.
Le droit de vote et son exercice : entre accessibilité, intégrité et viabilité
Lors des élections générales de 2022, près de quatre votes sur dix (37,5 %) ont été exercés par anticipation. Ce déplacement du jour du scrutin vers le vote par anticipation s’observe depuis plusieurs années. En 2003, moins d’un vote sur dix (8,1 %) avait été exercé avant le jour du scrutin.
Au cours des quelque 20 dernières années, plusieurs modifications à la Loi électorale ont eu pour objectif de rendre le vote plus facile et accessible afin de mieux répondre aux besoins d’une population à la fois vieillissante, de plus en plus mobile et soumise à des contraintes de temps croissantes. Différentes modalités de vote ont été ajoutées pour permettre aux électrices et électeurs de voter sur une période qui totalise maintenant huit jours. Le vote s’exerce en personne, ce qui facilite le contrôle de l’identité des électeurs, de l’environnement de vote, de la sécurité des bulletins et permet une plus grande transparence du processus.
Les électrices et les électeurs québécois sont généralement satisfaits de leur expérience de vote¹. Les différentes façons de voter y contribuent. Toutefois, cette logistique électorale est de plus en plus difficile à soutenir, face à des pénuries croissantes. Différentes modalités de vote ont été ajoutées pour permettre aux électrices et électeurs de voter sur une période qui totalise maintenant huit jours.
De plus, certaines personnes rencontrent encore des obstacles au moment de voter. Enfin, l’augmentation du vote par anticipation signifie qu’une part grandissante de l’électorat vote avant la fin de la campagne électorale. Notre défi est donc de concilier l’accessibilité, l’intégrité et la viabilité des processus de vote, en préservant la confiance du public envers ceux-ci. Comment faciliter le vote encore davantage, sans compromettre son intégrité ni minimiser l’importance de la campagne électorale jusqu’à la toute fin? Au Québec, il n’est pas possible de s’inscrire sur la liste électorale lors du vote par anticipation ou le jour du scrutin ni de voter à distance. Faudrait-il le permettre ? Voulons-nous plutôt revaloriser le jour du scrutin comme moment civique fort, en votant, par exemple, la fin de semaine? La disponibilité de la main-d’œuvre, des locaux et des ressources pourrait avoir une influence sur les changements à apporter. Dans certains cas, le recours aux technologies pourrait s’avérer indispensable. Mais ces technologies risquent-elles de nuire à la confiance des électrices et des électeurs envers le processus électoral ?
Le droit de se présenter aux élections : soutenir la diversité, le pluralisme et l’égalité
Les élections québécoises se sont longtemps jouées entre deux principaux partis politiques. Or, depuis les élections générales de 2008, quatre partis sont représentés à l’Assemblée nationale. Le nombre de personnes candidates et de partis politiques autorisés est également en hausse : lors des quatre dernières élections générales, plus de 800 candidates et candidats se sont présentés, et une vingtaine de partis politiques les soutenaient.
Les exigences posées par la Loi électorale pour présenter sa candidature ou obtenir une autorisation comme entité politique sont minimales. Elles visent à assurer un accès aussi équitable et universel que possible à toutes celles et tous ceux qui souhaitent se porter candidate ou candidat, ou s’organiser au sein d’un parti politique. Ces exigences minimales ont pu contribuer à favoriser la diversité et le pluralisme. Mais elles ne sont peut-être plus suffisantes.
Depuis 2018, la diversité des candidats et des élus a progressé au Québec, sur les plans du genre et de l’origine. Malgré ces gains récents, les personnes qui appartiennent à des groupes historiquement sous-représentés demeurent plus susceptibles de rencontrer des obstacles dans leur parcours politique. Or, la Loi électorale ne prévoit pas de mesures particulières pour soutenir la diversité au sein des partis ni pour aplanir les obstacles auxquels certaines personnes peuvent être confrontées. Les partis politiques pourraient être encouragés à se fixer des objectifs en matière de parité et de diversité des candidatures².
L’augmentation du nombre de partis politiques qui demandent une autorisation soulève des questions d’un autre ordre. En effet, certains partis politiques autorisés choisissent de ne plus participer aux élections et se dispensent de présenter des candidats.
La Loi électorale ne comporte pas d’exigences liées à la vocation électorale ou politique des entités autorisées. Elle ne prévoit pas non plus d’exigences supplémentaires, une fois l’autorisation accordée, pour obtenir certains privilèges, dont l’accès à du financement public ou aux listes électorales. Au regard du rôle que les partis politiques aspirent à jouer dans notre démocratie et des avantages dont ils bénéficient, pouvons-nous exiger davantage de leur part ?
Les questions liées à la diversité et au pluralisme politique se posent avec beaucoup plus d’acuité dans un contexte où les propos haineux, les menaces et le harcèlement sont en hausse. Comment favoriser une égalité de fait dans un tel contexte ? L’intolérance pose un risque sérieux pour la participation électorale et politique, et pour la démocratie. Il faut pouvoir en limiter les effets.
Le régime de financement politique : l’équité et la transparence
En quelques années, le Québec est passé d’un régime de financement politique reposant principalement sur les revenus autonomes des partis politiques à un régime financé majoritairement par l’État. Jusqu’en 2011, le financement public représentait moins de 40 % des revenus des partis ; cette proportion est supérieure à 70 % depuis 2014³.
Entre 2010 et 2016, des changements législatifs majeurs ont contribué à transformer la structure de financement des partis politiques. Ces changements ont fait suite aux différentes révélations qui ont remis en doute l’intégrité du financement politique au cours des années 2000. La limite annuelle des contributions politiques⁴ a été abaissée de 3 000 $, à 1 000 $, puis à 100 $; le financement public a été rehaussé en contrepartie; les sanctions ont été renforcées et de nouveaux pouvoirs de vérification et d’enquête ont été confiés au directeur général des élections.
Au cours de la même période, la Loi électorale a aussi été modifiée pour prévoir des élections à date fixe sans que l’encadrement des dépenses électorales (et préélectorales) soit revu. Les élections générales de 2018 et de 2022 ont permis de confirmer l’apparition de véritables précampagnes électorales au Québec. Des partis ont augmenté leurs dépenses préélectorales de manière importante ; des tiers dépensent aussi avant le déclenchement des élections, sans qu’il soit possible de déterminer l’ampleur de ces dépenses ; enfin, la distinction entre activités partisanes et activités parlementaires et gouvernementales est plus incertaine, en contexte de précampagne.
L’heure est donc aux bilans en matière de financement politique. En ce qui a trait aux dépenses préélectorales, une plus grande transparence s’impose. Mais des limites de dépenses adaptées à cette période pourraient aussi s’avérer nécessaires pour préserver le caractère égalitaire du régime de financement politique, tout en protégeant la liberté d’expression. En ce qui a trait aux sources de financement politique, un équilibre raisonnable a-t-il été atteint ? Les mécanismes de financement public sont-ils suffisamment équitables ? Un rééquilibrage des mécanismes de financement public pourrait-il permettre d’inciter les partis politiques à recentrer leurs activités sur la période électorale ?
L’information électorale et politique : faciliter l’exercice du vote de manière éclairée
Au Québec, comme dans plusieurs autres démocraties, la participation électorale est en baisse : entre 1970 et 1998, la moyenne provinciale était de 79 %; entre 2003 et 2022, elle a diminué à 68 %. La perte de confiance envers les élus et la politique est l’une des causes de l’abstention. La confiance envers les institutions démocratiques est aussi menacée depuis quelques années.
L’information est l’une des clés de la confiance et de la participation. Or, le paysage médiatique a connu de profonds bouleversements depuis l’adoption de la Loi électorale. Le Web et les plateformes numériques, entre autres, ont transformé et transforment encore l’espace public et médiatique. Ils ont modifié les habitudes informationnelles de l’électorat de même que les pratiques communicationnelles des acteurs politiques. Alors que l’information n’a jamais été aussi abondante et accessible, il est de plus en plus difficile de bien s’informer, de distinguer les sources fiables de celles qui ne le sont pas ; les informations vraies des fausses.
L’éducation à la démocratie et à la citoyenneté peut permettre de mieux outiller les électrices et les électeurs dans l’exercice de leur vote, mais aussi dans leur rapport à l’information. Comment conjuguer les initiatives en la matière pour qu’elles contribuent durablement à la confiance et à la participation des citoyennes et citoyens? Face au déclin de la presse régionale et à la centralisation des campagnes autour des principaux partis, comment aider les électrices et électeurs à trouver les informations dont ils ont besoin pour faire un choix? Élections Québec peut-elle y jouer un rôle accru?
Les outils numériques, bien qu’ils facilitent les communications et la participation, comportent aussi des risques pour le débat démocratique. Les médias sociaux, entre autres, favorisent le morcellement de l’espace public en chambres d’écho; accentuent les dissensions ; contribuent à l’amplification des phénomènes de mésinformation et de désinformation; et peuvent faciliter les tentatives d’ingérences étrangères. Comment lutter contre ces tendances ? Il faut parvenir à transposer les principes d’équité et de transparence qui sous-tendent l’encadrement des campagnes électorales dans cet univers numérique, dont nous ne commençons qu’à entrevoir les possibilités.
Pour faire évoluer la Loi électorale
Par la diffusion du document de consultation Pour une nouvelle vision de la Loi électorale, nous souhaitons faire évoluer la Loi. Cette réflexion collective que nous proposons concerne les personnes élues, d’abord, mais aussi les citoyennes et les citoyens, comme principaux acteurs de la démocratie. Cette loi fondamentale doit pouvoir refléter les attentes et les aspirations de l’ensemble de la société québécoise à l’égard de la démocratie électorale. À vous maintenant de participer!
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- Lors des élections générales de 2022, la satisfaction globale à l’égard des services de vote était en moyenne de 9,1 sur 10. Ce résultat est le même qu’en 2018. Voir: BIP Recherche, Évaluation de la satisfaction des citoyens du Québec à la suite des élections générales du 3 octobre 2022, 2022, p. 71.
- Une mesure semblable était prévue dans le projet de loi no39, Loi établissant un nouveau mode de scrutin.
- Ce calcul est effectué par Élections Québec sur la base des données qu’elle détient sur le financement des partis politiques. Élections Québec publie annuellement un rapport sur le financement politique dans lequel elle dresse notamment le bilan des sommes versées en financement public aux partis politiques ainsi qu’un bilan des contributions politiques qu’ils ont reçues. Pour consulter le dernier rapport: Élections Québec, Financement politique. Bilan et perspectives 2022, 2023, [https://docs.electionsquebec.qc.ca/ORG/642c730842f1e/DGE-6354-2022.pdf].
- «Une contribution est un don en argent, un service rendu ou un bien fourni gratuitement par une électrice ou un électeur à même ses propres biens. Les
personnes morales (compagnies, syndicats, etc.) ne peuvent pas effectuer de contribution. Elles ne peuvent pas, non plus, rembourser ou tenter de rembourser une personne qui fait une contribution.» Voir: Élections Québec, Sources de financement, [https://www.electionsquebec.qc.ca/comprendre/comprendre-le-financement-politique/sources-de-financement/].