Élections provinciales : la voix des jeunes compte!

Lena Alexandra Hübner16 septembre 2018

Par Lena A. Hübner
Chercheuse en résidence à l’Institut du Nouveau Monde et coordonnatrice des activités scientifiques du Centre de recherche sur l’information, la communication et la société (CRICIS)

Selon les statistiques d’Élections Québec[1], les jeunes représenteront le tiers de l’électorat lors des élections provinciales d’octobre 2018. Une première au Québec. Les chiffres sont éloquents : à deux millions d’électeurs et d’électrices, les jeunes seront aussi nombreux que les baby-boomers. Il y a ici une opportunité à saisir. Plus que jamais, la voix des jeunes compte! À condition qu’ils se déplacent aux urnes…

Le décrochage électoral : une tendance lourde chez les jeunes

Le décrochage électoral est un phénomène particulièrement répandu chez les Québécoises et Québécois âgés entre 18 à 24 ans. Selon les résultats d’une étude de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires[2], la participation électorale de ce groupe d’âge est en baisse depuis 1994. Elle a atteint un planché historique en 2008 à 36,2 %. Certes, lors des élections de 2012 nous avons assisté à une hausse de leur taux de participation : 62,7 % des jeunes ont en effet fait valoir leur droit de vote. Il s’agit toutefois d’une augmentation ponctuelle qui est, du moins partiellement, reliée à la mobilisation étudiante contre la hausse des frais de scolarité. Deux ans plus tard, le taux de participation électorale des jeunes a de nouveau baissé, alors que seulement 55,7 % des jeunes se sont déplacés aux urnes. Ce chiffre représente une baisse considérable et correspond aux taux des scrutins de 2003 et 2007.

Graphique : INM. Données : Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires et Directeur général des élections du Québec, « Nouvelle étude sur la participation électorale à l’élection du 7 avril 2014 », Québec, Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires, 2014, p. 10.


De plus, les élections de 2014 ont montré que les jeunes en région votent moins que les jeunes en ville. Un véritable fossé s’est creusé entre les deux groupes, les taux de participation variant entre 42,1 % et 66,2 %[3]. Les régions éloignées, telles que la Côte-Nord, Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine et Abitibi-Témiscamingue–Nord-du-Québec, comptent parmi les régions les plus touchées.

Graphique : INM. Données : Justin Savoie, François Gélineau et Eric Montigny, « Note de recherche sur la participation électorale sur la période 1985-2014 Une étude régionale », Québec, Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires, 2016, p. 26.


Ces tendances s’avèrent néfastes dans le contexte actuel. La représentativité de nos institutions démocratiques est menacée.

Pourquoi les jeunes ne votent-ils pas?

Plusieurs analyses arrivent à la conclusion que la diminution du taux de participation de ceux et celles qui votent pour la première fois est à l’origine de la diminution du taux de participation général aux élections[4]. C’est pourquoi l’INM a entrepris plusieurs démarches pour connaître les raisons pour lesquelles ces jeunes désertent les urnes.

Le rapport d’étude[5] qui en résulte témoigne d’une grande variété d’enjeux : manque d’intérêt, absence d’enjeux qui rejoignent les jeunes, difficulté d’accès à l’information de qualité, cynisme généralisé envers les partis, sentiment de ne pas avoir d’impact, difficultés d’accès au scrutin.

D’autres études, comme celle de Robert-Mazaye et al., arrivent à des résultats similaires[6]. Certains jeunes expriment un désintérêt pour la politique, d’autres évoquent un emploi du temps trop chargé ou des problèmes d’inscription sur la liste électorale. Les jeunes témoignent également d’une perte de confiance envers les institutions traditionnelles et le système électoral qui, selon eux, ne permet pas de prendre véritablement en compte leur vote.

L’abstention n’est pas synonyme désengagement

Malgré leur absence aux urnes, les jeunes ne sont pas désengagés pour autant. Le vivre-ensemble leur tient à cœur. Selon l’Institut de la statistique du Québec, les 16-19 ans sont très nombreux à faire du bénévolat (45,9 %) comparativement aux 45-65 ans (34,8 %)[7].

Et même au-delà du bénévolat, les jeunes s’intéressent aux grands enjeux de la société! Une étude de Nicole Gallant[8]témoigne des implications sociopolitiques multiples des jeunes au Québec : participation à des manifestations, engagement pour des associations et organismes qui défendent des causes spécifiques (environnement, justice sociale, etc.), signature de pétitions en ligne, etc. Les formes de participation sont nombreuses. Elles se situent cependant toutes en dehors du système politique traditionnel.

Alors qu’on peut se réjouir de ces constats, il faut néanmoins noter que ces jeunes engagés sont souvent parmi les plus privilégiés. Que ce soit pour le vote ou pour les actions en dehors du système politique traditionnel, la scolarité et le revenu restent des facteurs importants dans l’engagement civique. Des chercheurs et chercheuses de l’Université de Sherbrooke le confirment : les jeunes détenant un diplôme universitaire sont plus susceptibles de voter et de s’engager que les jeunes travailleurs et travailleuses qui ont quitté les bancs d’école tôt[9].

L’INM et BMO s’allient pour renverser la tendance du décrochage électoral

Les jeunes en milieu de travail comptent également parmi ceux et celles qui sont les plus difficiles à rejoindre pour les organismes d’éducation civique. Leurs programmes se tiennent souvent à l’école secondaire, au cégep ou à l’université. C’est pourquoi l’INM et BMO se sont associés afin de former un groupe d’action composé d’organisations du milieu des affaires. Ce groupe d’action a pour but de mettre en place une vaste campagne de promotion du vote et de l’engagement civique auprès des jeunes en milieu de travail.

Dans ce contexte, une stratégie à plusieurs volets a été élaborée. Le premier volet de cette campagne consiste en :

  1. un sondage populationnel auprès des millénariaux du Québec sur le vote et la politique ;
  2. des ateliers en entreprises, notamment en usine, pour les jeunes travailleuses et travailleurs québécois.

À moyen terme, le groupe d’action mènera une vaste campagne de sensibilisation en ligne à l’aide d’influenceurs et d’influenceuses. Il rendra également public un rapport sur les meilleures initiatives déployées en occident pour agir sur la participation électorale des jeunes et il contribuera au déploiement à plus grande échelle du programme d’éducation CiviQcde l’INM dans les écoles primaires et secondaires et à la préparation, annuellement, d’un grand dossier sur la participation électorale des jeunes dans la publication annuelle de l’INM L’état du Québec.

[1] Brigitte Dubé, « La faible participation des jeunes aux élections : une tendance qui s’accentue ». Dans Ici Radio Canada, 2 avril 2018.

[2] Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires et Directeur général des élections du Québec, « Nouvelle étude sur la participation électorale à l’élection du 7 avril 2014 », Québec, Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires, 2014.

[3] Justin Savoie, François Gélineau et Eric Montigny, « Note de recherche sur la participation électorale sur la période 1985-2014 Une étude régionale », Québec, Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires, 2016.

[4] Institut du Nouveau Monde (INM), « Participation électorale des millénariaux. Problématique, constats, leviers », Montréal, INM, 2018.

[5] Ibidem.

[6] Robert-Mazaye Christelle et al., « Désengagement ou scepticisme engagé ? L’action politique et citoyenne des jeunes québécois », La revue internationale de l’éducation familiale, vol. 1, n° 41, 2017.

[7] Virginie Nanhou, Hélène Desrosiers et Amélie Ducharme. « Portrait des bénévoles de 16 à 65 ans au Québec ». Bulletin Statistique 22, Institut de la statistique du Québec, 2017, p. 15.

[8] Nicole Gallant, « The ‘Good,’ the ‘Bad’ and the ‘Useless’: Young People’s Political Action Repertoires in Quebec». Dans Sara Pickard et Judith Bessant (dir.), Young people re-generating politics in times of crises, Cham, Palgrave Macmillan, 2018, p. 77-94.

[9] Jean-Herman Guay, Anthony Desbiens et Eugénie Dostie-Goulet, « Le vote des jeunes: les motifs de la participation électorale », Perspectives du Monde, mars 2018, p. 9.

À propos de l’auteure

Lena A. Hübner est étudiante au doctorat en communication à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Après son B.A. en Études francophones (concentration médias) à l’Université Albert-Ludwig à Freiburg (2012) et des expériences de travail en relations publiques, elle choisit une carrière universitaire. Depuis son mémoire de maîtrise (UQAM, 2014), elle étudie la communication politique sur les réseaux socionumériques. Elle est notamment l’auteure de l’article « Opinion Regulation or Civic Dialogue? Seeking New Analytical Frameworks to Study Digital Politics » publié dans ESSACHESS – Journal For Communication Studies (décembre 2016). En dehors de ses études, elle est coordonnatrice des activités scientifiques du centre de recherche interuniversitaire CRICIS (Centre de recherche interuniversitaire sur la communication, l’information et la sociétéet chargée de cours à l’École des médias de l’UQAM.

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