Lettre au premier ministre

À vous qui avez remporté les élections,

11 septembre 2018

Par Julie Caron-Malenfant
Directrice générale de l’Institut du Nouveau Monde

Cette lettre a été écrite en septembre 2018, avant de connaître le résultat de l’élection provinciale du 1er octobre. Elle s’adresse donc à la fonction de premier ministre, plus qu’à un individu ou à un parti. Elle est publiée dans L’état du Québec 2019, publication phare de l’Institut du Nouveau Monde.

Je vous félicite d’avoir fait campagne, d’avoir présenté votre candidature et d’avoir choisi de vous dédier à la vie politique, malgré tous les sacrifices que ce choix de carrière impose. Renoncer à une vie loin des projecteurs, s’exposer sans cesse à la critique, subir les pressions des lobbys et de l’opinion publique n’est pas de tout repos.

S’engager dans l’arène alors que la confiance des citoyens envers la politique est fragilisée demande une bonne dose de courage. Nos institutions ont besoin des électeurs pour assurer leur stabilité, tout comme les citoyens comptent sur celles-ci pour réguler de façon équitable et responsable la vie en société. Elles contribuent au renforcement du lien social et permettent que se tissent des solidarités entre les citoyens et avec les autres composantes de notre société.

La réforme attendue du mode de scrutin pour améliorer la représentativité électorale est un dossier qui vous occupera sans doute très vite. Le consensus a maintes fois été exprimé : le lien entre un vote et le résultat d’une élection doit être clair. Notre démocratie n’a pas les moyens d’être désertée par ses commettants, sous prétexte qu’ils ne se sentent pas représentés.

Malgré la baisse des taux de participation qui inquiète d’une élection à l’autre, la confiance qui vous a été exprimée lors du récent scrutin doit trouver écho dans le souci que votre gouvernement mettra à répondre adéquatement aux grands défis qui nous attendent et dont nous proposons une revue annuelle, fiable et objective dans L’État du Québec, notre antidote à la désinformation et aux fausses nouvelles. Parmi ces défis, qui ne sont pas tous des sujets populaires – ce qui ne les rend pas moins importants – je me contenterai d’en nommer quelques-uns : le développement de l’intelligence artificielle ; les inégalités sociales ; le vivre ensemble ; la relation que nous entretenons avec l’information, mais aussi avec notre travail, notre prochain. Notre vie privée sera appelée à se redéfinir considérablement à l’aube des transformations qui pointent à l’horizon. Vous êtes le seul à pouvoir garantir, par la légitimité que votre élection vous confère, la protection du bien commun dans un monde toujours plus globalisé et déréglementé.

Parmi tous les défis auxquels nous devons faire face, il y en a un qui domine, puisqu’il met en jeu toutes les dimensions de la vie « moderne ». Ce défi, bien qu’il n’ait été, au moment d’écrire ces lignes, que timidement évoqué pendant la campagne électorale, doit impérativement devenir la priorité de tous nos dirigeants. Il s’agit de l’urgence d’agir face au réchauffement climatique.

Difficile de parler de quelque chose aux retombées aussi vitales et systémiques. Nous pouvons décomposer le problème : acidification des océans, concentration de CO2, énergies propres, économie verte, mobilité durable. Ce défi n’en a pas moins pris des proportions effrayantes au fur et à mesure que les ramifications de nos sociétés ont continué à s’enchevêtrer dans un système d’une complexité telle qu’il nous apparaît désormais impossible à maîtriser.

Les dilemmes sont nombreux. Comment décarboner notre économie sans que nos systèmes financiers s’effondrent ? Comment éviter que les chaînes alimentaires ne se rompent sans s’interroger sur notre mode de vie ? Comment agir maintenant sans compromettre notre prospérité et en évitant la fuite des capitaux vers des législations plus clémentes ? Comment protéger les plus vulnérables sans renoncer aux progrès que nous avons accomplis, comme humanité et comme société québécoise, au cours des derniers siècles ? Comment cesser d’accumuler une dette écologique alors qu’elle est impossible à rembourser ? Les réponses qu’on trouvera détermineront si les générations présentes et futures pourront aspirer à une vie de qualité, voire à survivre.

Le changement climatique ressenti de plus en plus fortement ici même, dans un Québec pourtant prospère, a fini par convaincre les plus sceptiques que le climat était déréglé. À la suite de la démission du ministre français de la Transition écologique et solidaire, des artistes du monde entier ont interpellé la classe politique mondiale, dont vous faites partie, pour agir vite. La parole est en train de se libérer. J’en suis !

Vous avez le devoir de gouverner de façon responsable pour opérer une transformation en profondeur et rapide. Alors que des options s’offrent encore à nous. Nos chances de renverser la vapeur s’amenuisent. Je vous prie de profiter des dernières brèches disponibles pour lancer un grand chantier. Cette transition a toutes les chances de stimuler l’innovation, la fierté, l’ingéniosité qui nous caractérisent. Nous avons déjà été capables de choses grandioses et de transformations profondes dans un passé pas si lointain.

Il vous faudra trouver les moyens pour faire de ce chantier un ouvrage collectif. Nous devrons tous nous mettre à la tâche. Appuyez-vous sur les centaines de milliers de citoyens qui veulent un meilleur avenir. Qui sont prêts à contribuer à faire bouger les choses. Vous pouvez compter sur nous. Votre courage en inspirera d’autres. Je vous tends la main.

Julie Caron-Malenfant

Directrice générale, Institut du Nouveau Monde

À propos de l’auteure

Mme Caron-Malenfant est diplômée en administration des affaires (1998). Elle détient également une maîtrise en science politique (2002). Mme Caron-Malenfant possède 15 ans d’expérience en développement local et participation publique. Elle a contribué à la réalisation de plusieurs études stratégiques et plans de développement au Mexique et sur le territoire québécois. En outre, elle a une expertise enviable en matière de concertation et de participation des parties prenantes dans des processus consultatifs et décisionnels sur des enjeux de développement durable du territoire, de ressources naturelles, de culture et d’affaires publiques. Elle a accompagné de nombreux clients dans des démarches de consultation des parties prenantes, notamment des municipalités, Conférences régionales des élus, Centres locaux de développement et divers autres organismes publics et privés. Elle est coauteure du Guide pratique de l’acceptabilité sociale : pistes de réflexion et d’action (Éditions DPRM, 2009). Au sein de l’INM, elle a piloté de nombreux dossiers et démarches d’envergure, notamment le Forum mondial de la langue française, l’Agenda 21 de la culture pour le Québec, le Jury citoyen sur le financement des partis politiques et les Rendez-vous de l’énergie.

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