L’état du Québec 2023 | Urgence climatique, agir sur tous les fronts
«Tu peux riposter » : Portrait de Jacqueline Lee-Tam, directrice du HUB de mobilisation pour la justice climatique
Photo : Meng Ji / Unsplash
- Laura Doyle Péan
Ce texte est issu la publication annuelle de l’INM, L’état du Québec 2023, publiée chez Somme Toute / Le Devoir.
Que ce soit dans la rue, devant les tribunaux, ou face à leurs parents et grands-parents, les jeunes sont en première ligne des mouvements sociaux contre les changements climatiques. À ce titre, nous avons souhaité ouvrir la conclusion de L’état du Québec 2023 à des jeunes Québécoises et Québécois engagés. Ils et elles signent quatre portraits présentant des figures d’avenir qui les inspirent. Ces portraits sensibles font le récit de parcours de vie individuels, reflets de l’histoire collective d’une génération qui fait face au plus grand défi du siècle.
Automne 2019. J’assiste à ma première rencontre de Divest McGill, une campagne pour la justice climatique qui réclame de l’Université McGill qu’elle reconnaisse l’urgence de la crise climatique et agisse en retirant les placements de son fonds de dotation de l’industrie des énergies fossiles. C’est là que je rencontre Jacqueline Lee-Tam, étudiante au département d’études de genre, sexualité, féminisme et justice sociale, et militante de longue date au sein de la résistance contre les pipelines et du mouvement pour le désinvestissement des énergies fossiles. D’abord et toujours une grande inspiration, elle est ensuite
devenue une amie, puis une collègue et superviseure de travail. Depuis juin 2022, Jacqueline dirige le HUB de mobilisation pour la justice climatique où elle soutient le renforcement des capacités des organisateurices des mouvements populaires pour la justice sociale.
D’origine chinoise, Jacqueline a grandi sur les territoires non cédés des nations Squamish, Musqueam et Tsleil-Waututh, à Vancouver, où le mouvement environnemental mainstream, très actif au début des années 2010, manquait terriblement d’intersectionnalité. Jacqueline raconte : « J’avais l’impression d’être une étrangère qui devait s’intégrer au mouvement tel qu’il était historiquement: blanc, de classe moyenne et supérieure…» Son regard a changé après sa participation à la Conférence de Bonn sur le climat en 2017 (COP23). Les autres personnes déléguées, toutes des personnes racisées, avaient déjà participé à plusieurs conférences internationales et avaient peu de patience pour le manque d’initiative et de sérieux des politicien·nes présent·es. « J’ai vu mes pairs plus âgé·es rejeter beaucoup d’idées qui venaient des partis et du mouvement mainstream. […] Je me souviens d’une réunion avec la ministre fédérale [de l’Environnement et du Changement climatique de 2015 à 2019] Catherine McKenna pendant laquelle iels lui faisaient des reproches sur les politiques sans envergure qu’elle proposait. […] Je me disais : «Wow, tu peux riposter». Je me suis alors rendu compte que je pouvais faire partie de ce mouvement et que je pouvais aussi le façonner, sans devoir entrer dans une sorte de moule».
Jacqueline garde cette leçon en mémoire dans chaque rôle qu’elle occupe au sein du mouvement, car elle s’autorise toujours à changer de cap lorsque son corps en a besoin. Elle qui souffre de douleurs chroniques depuis plus de trois ans et a souffert d’épuisement professionnel pendant son parcours universitaire insiste sur l’importance des soins communautaires, du care et de l’entraide : «Nos mouvements doivent devenir plus résilients et former les gens de façon à ce qu’iels puissent aller et venir au besoin sans que les mouvements en souffrent. Je pense que l’un des grands mythes des mouvements sociaux est l’inévitabilité de l’épuisement. Oui, ces luttes sont dures – physiquement, émotionnellement, spirituellement – car ce contre quoi nous nous battons est grand et urgent».
Lorsque les douleurs chroniques ont commencé, Jacqueline se demandait constamment quand elle serait de retour à la normale. Elle s’interroge maintenant: «La normale était-elle une bonne chose? Pour gagner, nous devons être en bonne santé et faire une certaine politique préfigurative, en mettant en pratique le monde dans lequel nous souhaitons vivre. Si la culture de l’épuisement ne vous sert pas, trouvez vos propres moyens de la rejeter: je ne vais pas m’asseoir à mon bureau toute la journée, je vais m’étirer quand j’en ai besoin. Je ne souhaite pas faire partie d’une culture de groupe qui fait travailler ses membres jusqu’à ce qu’iels abandonnent. Je vais plutôt cultiver la joie, l’entraide et la lenteur, je vais faire des pauses, des pique-niques et passer du temps avec les gens qui sont engagés à mes côtés dans cette lutte…»
Lorsque je lui demande quels sont les autres ingrédients pour la victoire, sa réponse fuse du tac au tac : «Ne laisser personne de côté, être intersectionnel et s’attaquer aux complexités et aux conflits qui surgissent lorsque des mouvements sociaux convergent. La victoire découlera d’alliances inattendues et du
pouvoir du peuple ».
Laura Doyle Péan (iel) est un·e poète et artiste multidisciplinaire queer d’origine haïtiano-québécoise. Iel étudie en droit et en études de genre, s’engage dans les mouvements de justice sociale et se passionne pour la relation entre l’art et l’activisme. Né·e à Nionwentsïo (Québec), son implication a commencé dans les milieux féministes intersectionnels, LGBTQIA2S+, et de justice migratoire et raciale. Iel a déménagé à Tiohtià:ke/Mooniyang (Montréal) en 2019 pour poursuivre des études universitaires, et y a rejoint le mouvement de désinvestissement des énergies fossiles. Iel est également cocoordinateur-trice du Collectif 1629, un collectif de la ville de Québec dirigé par des personnes noires
qui luttent contre le profilage racial et d’autres formes de violence étatique anti-Noir·es. Laura a publié son premier livre, Cœur Yoyo, en 2020 et a participé à de nombreuses productions artistiques avec le collectif féministe queer Les Allumeuses, ainsi qu’avec l’Espace de la Diversité. Iel fait partie du comité éditorial de la revue Moebius, tient une chronique dans le magazine littéraire Lettres québécoises, et a publié des poèmes et des nouvelles dans plusieurs autres. La traduction anglaise de son recueil sortira sous le titre Yo-yo Heart à Londres en octobre 2022, chez the87press. Laura écrit présentement un roman jeunesse portant sur le rôle des corporations dans la crise climatique.