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Préserver la cohésion sociale

Avec Lysa Bélaïcha, conseillère municipale à la Ville de Longueuil

Pourriez-vous nous parler un peu de votre parcours, tant au niveau de l’engagement que dans les sphères politiques et professionnelles ?

Je suis née en Algérie, mes parents ont immigré ici quand j’avais trois ans. Nous nous sommes installés d’abord à Longueuil, puis à Montréal. Après un retour sur la Rive-Sud, j’ai fait mes études primaires et secondaires à Longueuil. Par la suite, j’ai fait un DEC en Sciences humaines, profil Justice et société au Collège de Maisonneuve et je viens tout juste de compléter un baccalauréat en science politique et études québécoises à l’Université McGill.

Mes parents ont immigré d’Algérie en raison de la situation politique du pays, à l’époque. La population y a connu ce qu’on appelle la « décennie noire ». Il y a eu beaucoup d’actes de terrorisme et plusieurs personnes ont donc décidé de quitter l’Algérie. Mes parents ont choisi le Québec parce qu’ils maîtrisaient déjà très bien le français. C’était très courageux de leur part de partir, surtout qu’ils ne connaissaient personne ici et qu’ils allaient devoir repartir de zéro à 45 ans.

Puisque que mes parents m’ont eue à un âge avancé, dans la quarantaine, j’ai toujours été entourée de personnes plus âgées que moi. Par conséquent, j’ai été exposée à des sujets très « adultes » pendant ma jeunesse. Ça m’a amenée à devenir mature plus tôt que la moyenne et j’ai été une enfant très curieuse.

Mes parents m’emmenaient en Algérie un été sur deux, je connaissais donc quand même bien la vie là-bas et je comparais beaucoup les styles de vie : « Pourquoi c’est comme ça ici ? Pourquoi c’est comme ça là-bas ? ». C’est la politique et les décisions qui sont prises dans les pays qui font en sorte qu’on va vivre, penser d’une certaine manière. La politique m’a intéressée à cause de cette expérience en partie. D’ailleurs, je dis souvent que mon lieu d’origine a un peu influencé mon choix de carrière.

Un autre élément important est l’art : quand j’étais enfant, les jeunes de mon quartier écoutaient beaucoup de rap anglais. Ça m’énervait parce que je ne comprenais pas ce que les artistes disaient. Un jour, mon frère m’a fait écouter une chanson de rap français: je me suis dit : « enfin, il y a un type d’art que je comprends, qui me rejoint ». Adolescente, j’ai même eu cette envie de devenir rappeuse moi-même !

Justement, à mon école secondaire, il y a eu un projet qui s’appelait Les Semeurs d’Étincelles. L’enseignante qui le portait nous avait demandé  : « Quel est votre rêve ? On va vous aider à le réaliser ». Je me suis inscrite à son initiative, j’ai écrit sur un papier que je rêvais de devenir rappeuse, comme on jette une bouteille à la mer. C’était très naïf de ma part de faire ça !

Ma professeure de théâtre était mon accompagnatrice pour le projet et elle m’avait parlé d’un organisme communautaire qui était juste à côté de mon école secondaire, la Maison Kekpart. C’était une super maison de jeunes où il y avait un studio d’enregistrement gratuit et accessible. À l’âge de quinze ans, je leur ai demandé d’utiliser leurs installations et ils ont accepté. Du moment où j’ai découvert cet endroit, je passais toutes mes soirées là-bas. Une intervenante m’avait même proposé de me présenter pour devenir représentante des jeunes sur le conseil d’administration et j’ai accepté sans vraiment savoir ce que ça impliquait.

Ce rôle de représentante des jeunes sur le conseil d’administration m’a amenée à prendre la parole dans des événements où il y avait différents acteurs, dont des élus municipaux, provinciaux et fédéraux, et je me suis peu à peu fait connaître. C’est lors d’un événement où j’ai pris la parole que l’ancien député fédéral, Pierre Nantel, m’a présenté Catherine Fournier. Lorsqu’elle a fait le lancement de son livre L’Audace d’agir pour encourager les jeunes à se lancer en politique, je me suis présentée au lancement pour lui remettre une lettre dans laquelle je lui faisais part de mon désir de m’impliquer dans la sphère publique. Nous nous sommes parlées et je suis devenue bénévole pour sa campagne électorale, puis attachée politique dans la circonscription de Marie-Victorin. Quand Catherine s’est lancée au municipal, je l’ai suivie et j’ai été élue au poste que j’occupe actuellement.

Est-ce que vous vous souvenez de votre première participation à une École d’été de l’INM?

Lorsque j’étais étudiante au cégep, j’ai participé à un événement qui portait sur le vivre-ensemble. Il regroupait plusieurs jeunes de différents profils qui étaient amenés à discuter, à échanger, à s’exprimer sur le sujet.

Cette première expérience m’a beaucoup marquée parce que nous avions des espaces et des lieux pour rencontrer des personnes avec des parcours et des profils différents. Ces échanges nous permettent de connaître et de comprendre des choses auxquelles on n’est pas toujours confronté soi-même. 

Quel est votre meilleur souvenir de vos participations aux activités de l’INM?

Ce sont les moments où j’ai eu l’occasion de rencontrer des personnalités qu’on connaît seulement à travers les médias, que ce soit les médias sociaux ou les médias traditionnels. L’INM offre cette occasion de rencontrer ces personnalités, de pouvoir leur poser des questions, de discuter avec elles, d’échanger et de garder contact.

Une fois, j’étais panéliste sur le même panel que Bochra Manaï, une personnalité que je suivais déjà. C’était formidable parce que j’avais enfin la chance de pouvoir l’entendre, de pouvoir discuter avec elle et de mieux savoir ce qu’elle fait dans son travail.

Comme panéliste, j’ai été marquée de voir l’impact que je pouvais avoir sur des participants qui ne croyaient peut-être pas que la politique était accessible aux jeunes, aux femmes et aux jeunes femmes issues de l’immigration surtout. Quand quelqu’un vient leur dire que c’est possible, ça donne de l’espoir. Ça change même une vie.

Qu’est-ce que ça signifie, pour vous, avoir 20 ans?

Avoir 20 ans, c’est à la fois un moment très beau, mais très difficile aussi. En regardant tout ce qui se passe dans le monde et en se comparant, on peut dire qu’avoir 20 ans au Québec, c’est une chance. Toutefois, c’est aussi difficile parce qu’autant on a toute l’énergie, tout le courage d’entreprendre des projets et de réaliser nos rêves, autant on peut devenir très affecté par tout ce qui se passe autour de nous.

On porte un peu le fardeau sur nos épaules de ce qu’on veut léguer aux prochaines générations. On vit dans une société et un monde rempli d’incertitudes. En même temps, on nous demande quand même de prendre des décisions importantes à l’âge de 20 ans ou même avant, sur nos choix de carrière et sur notre vie.

Qu’est-ce que vous souhaitez aux générations futures du Québec?

Je souhaite léguer aux générations futures une société où la cohésion sociale est préservée. C’est extrêmement important de préserver le modèle de société qu’on a au Québec et une cohésion entre les différents groupes, que ce soit entre les différentes générations, les groupes linguistiques, ethniques, etc.

Au Québec, on a la chance d’être une société qui est éduquée, d’avoir accès à l’information et de savoir comment la traiter. C’est essentiel que ce soit maintenu par les prochaines générations et que les gens puissent vraiment saisir les enjeux auxquels nous sommes confrontés. Dans mon travail, c’est quelque chose que je prends très au sérieux. Quand des citoyens me contactent pour des questions ou des préoccupations, c’est important pour moi de ne pas les laisser dans l’ignorance. Je pense que lorsqu’on laisse des personnes dans l’ignorance, on les désensibilise, on les démobilise aussi. On court à notre perte si les individus manquent d’information dans notre société.

C’est donc toujours important que les gens comprennent les enjeux et que leurs questions soient répondues du mieux qu’on peut. De cette manière, ils vont avoir confiance en leurs institutions, en leurs élus au final. C’est ce que je souhaite pour le Québec et aux prochaines générations.

Photo de Valérie Dubuc

Façonner un monde plus juste, avancer ensemble, entretenir la flamme de la jeunesse. Dans le cadre des 20 ans de l’Institut du Nouveau Monde, nous avons demandé à 20 personnalités étant passées par les écoles de citoyenneté de l’INM de nous parler de leur parcours et de leur vision de la participation citoyenne. Quelle a été l’étincelle de leur engagement ? Qu’est-ce que ça signifie d’avoir 20 ans ? Que souhaiter aux générations futures ? À travers cette collection de portraits intimes et colorés, ils et elles nous racontent l’histoire d’un Québec pluriel et résolument tourné vers l’avenir.

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