L’état du Québec 2020 | Clé 01

Les fausses nouvelles : un refuge devant l’incertitude croissante de notre époque? 

Sondage exclusif Léger/L’état du Québec

Julie Caron-Malenfant
Directrice générale de l’INM

Francis Huot
Directeur de L’état du Québec 2020

Ce texte est issu de la clé 01 de la publication annuelle de l’INM L’état du Québec 2020.

Jamais n’a-t-on autant parlé de fausses nouvelles. Elles ébranlent la confiance qu’on accorde aux institutions politiques, aux médias et aux scientifiques. Elles déstabilisent nos démocraties et contribuent à la culture de l’opinion instantanée. Des «faits alternatifs » sont partagés par des leaders populistes, puis sont massivement relayés dans les médias traditionnels et les réseaux sociaux. Mais qu’est-ce qui pousse les citoyens à les lire, à les croire et à les partager ? Préoccupés par cette question, l’INM et Léger ont décidé de sonder les Québécois sur leur rapport à l’information.

Les fausses nouvelles ont le dos large. Pour certains, elles sont le symptôme d’un malaise démocratique et d’une crise de confiance envers les institutions. Vingt-trois pour cent des Québécois ont déjà partagé des nouvelles en sachant qu’elles étaient fausses. Ça ne veut toutefois pas dire que l’opinion qu’elles permettaient de renforcer n’était pas valable.

Pour d’autres, elles témoignent d’une incapacité des personnes qui les consomment à penser de manière critique, et de la mauvaise foi de ceux qui les produisent. Certains citoyens ne seraient pas aptes à détecter les fausses nouvelles, et des entreprises, des groupes militants ou encore des politiciens en profiteraient pour faire avancer leur programme.

On qualifie couramment les médias de « quatrième pouvoir » –  les trois autres étant le législatif, l’exécutif et le judiciaire – en raison de leur importance politique. En étant indépendants et en rendant accessible une information fiable, dont le traitement est rigoureux et les sources diversifiées, les médias contribuent à renforcer la démocratie. Leur pluralisme et leur indépendance sont des indicateurs de la santé démocratique d’une société. Selon le Democracy Index 2018, produit par l’Economist Intelligence Unit, les libertés civiles constituent le socle de la démocratie. Parmi ces libertés, ce sont la liberté d’expression et la présence d’une presse imprimée et électronique indépendante qui ont souffert le plus dans les dernières décennies1 . C’est pourtant en étant bien informés que les citoyens peuvent participer pleinement à la vie démocratique. Et les Québécois en sont conscients : 76 % des répondants estiment que le phénomène des fausses nouvelles est inquiétant.

Les résultats de ce sondage exclusif Léger/L’état du Québec offrent un portrait inédit des manières dont les Québécois s’informent, de leur propension à croire des fausses nouvelles, et des raisons qui les poussent à en partager.

COMMENT S’INFORME-T-ON AU QUÉBEC ?
Les répondants disent s’informer quotidiennement dans une proportion de 72 %, et seulement 9 % d’entre eux le font moins d’une fois par semaine. Bonne nouvelle ! Les Québécois sont donc au fait de l’actualité et s’y intéressent.

Les habitudes de consommation d’information diffèrent d’une génération à l’autre. Parmi les jeunes âgés de 18 à 34 ans, 57 % s’informent au moins une fois par jour, et cette proportion augmente à 88 % pour le groupe des 55 ans et plus. Cet écart de 31 points de pourcentage traduit d’importantes différences liées à l’âge.

Les différences générationnelles ne se traduisent toutefois pas seulement par la fréquence à laquelle l’information est consommée. Les sources utilisées pour suivre l’actualité varient également. Sans surprise, les sites Internet et applications mobiles de médias d’information sont plus populaires chez les jeunes, alors que, pour les 35 ans et plus, la télévision demeure encore le média le plus populaire. Tous groupes d’âge confondus, les sources d’information les plus utilisées sont la télévision (74 %), les sites Internet et applications mobiles des médias d’information traditionnels (61 %) et la radio (46 %). L’information livrée sur papier arrive au 5e rang (33%), tout juste derrière les plateformes de médias sociaux (34%).

Ces résultats déboulonnent un mythe : les réseaux sociaux seraient devenus la voie de transmission principale de l’information. À preuve, à peine 34 % des répondants définissent les médias traditionnels qui partagent des contenus dans les réseaux sociaux comme moyen de s’informer. Cette tendance risque toutefois de changer. Chez les jeunes âgés de 18 à 34 ans, 24 % ont défini les influenceurs comme source d’information et 36 %, les liens partagés dans les réseaux sociaux par des amis. Des chiffres beaucoup plus élevés que pour les répondants âgés de 35 ans et plus.

CE QUI EST PARTAGÉ EST-IL FORCÉMENT LU ?
Même si les bulletins de nouvelles télévisés demeurent le moyen le plus utilisé pour s’informer, les fake news, elles, circulent principalement en ligne. Les Québécois sont toutefois relativement peu nombreux à partager des liens dans les réseaux sociaux: 29 % des répondants disent en partager fréquemment, dont 67 % qui affirment lire systématiquement le contenu des liens qu’ils partagent. C’est donc dire que le tiers des Québécois qui partagent de l’information en ligne admet le faire sans en avoir lu entièrement le contenu ! Ce comportement est certainement de nature à amplifier les nouvelles, qu’elles soient vraies ou fausses.

THÉORIES DE LA CONSPIRATION ET FAUSSES NOUVELLES: EST-CE QUE LES QUÉBÉCOIS Y CROIENT ?
Seulement 18 % des répondants avouent avoir déjà partagé des fausses nouvelles, et 14 % admettent ne pas savoir. C’est donc dire que 69 % des Québécois croient n’avoir jamais partagé de fake news. Mais qu’en est-il en réalité ? On a soumis aux répondants une douzaine de théories de la conspiration plus ou moins populaires. Avec plus du tiers des répondants y adhérant (35 %), la théorie voulant que l’accident de voiture au cours duquel Lady Diana a perdu la vie serait un assassinat déguisé et la croyance selon laquelle certaines personnes ont des dons de voyance et peuvent voir ou prédire l’avenir sont les théories de la conspiration les plus populaires. La théorie selon laquelle les ÉtatsUniens ne seraient jamais allés sur la Lune et la NASA aurait fabriqué de fausses preuves de l’alunissage de la mission Apollo est pour sa part celle avec laquelle les Québécois sont les plus nombreux à être en désaccord (75 %). Parmi les répondants, 46 % adhèrent peu ou pas du tout à des théories de la conspiration, alors que 17 % y adhèrent beaucoup.

Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, la proportion de répondants croyant en une théorie de la conspiration est significativement plus élevée lorsqu’ils en ont déjà entendu parler. Pouvons-nous en déduire que le remède contre les fausses nouvelles est de s’informer mieux, pas de s’informer plus ?

Les répondants ont aussi été exposés à huit nouvelles dont la preuve a été faite qu’elles sont fausses. Images à l’appui, les répondants avaient les outils en main pour juger de la crédibilité de la nouvelle qui leur était présentée et de sa source. Une fausse nouvelle dévoilant que le maire d’une municipalité du Québec aurait refusé d’enlever le porc du menu de la cantine d’une école pour accommoder une communauté religieuse s’est avérée la plus crue parmi les répondants (33%). Les débats de société les plus polarisants sont aussi ceux qui contribuent au foisonnement des fausses nouvelles. Ainsi, les cinq fake news les plus crues par les Québécois sont liées à l’immigration, aux mouvements de population, au vivre-ensemble et à l’environnement.

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UN MANQUE DE CONFIANCE ENVERS LES INSTITUTIONS EN CAUSE ?
L’une des hypothèses fréquemment évoquées pour expliquer la montée en popularité des fausses nouvelles est liée au déclin de la confiance envers certaines institutions. Certaines idées reçues voulant, par exemple, que le jupon des médias dépasserait à gauche ou à droite, que les scientifiques ne seraient plus objectifs ou encore que les politiciens seraient malveillants et corrompus en témoignent. Signe que le phénomène des fausses nouvelles partagées en ligne inquiète les Québécois, les médias traditionnels ont la confiance de 77 % des répondants, alors que pour les nouveaux médias, elle baisse à 37 %. Cet écart considérable de 40 points de pourcentage prouve que les Québécois accordent de l’importance aux règles encadrant la pratique du journalisme dans les médias traditionnels. À preuve, la confiance à l’égard des journalistes (53 %) est elle aussi plus élevée de 40 points que celle accordée aux blogueurs (13 %).

Les institutions scientifiques jouissent elles aussi de la confiance des Québécois : 81 % des répondants font confiance au système d’éducation universitaire, alors que 83 % disent faire confiance aux scientifiques et 82%, aux professeurs d’université. C’est sur le plan des institutions démocratiques que le bât blesse. L’Assemblée nationale du Québec (56 %) et le gouvernement (48 %) figurent en queue de peloton. Même son de cloche du côté des politiciens. Les élus municipaux (39 %), ceux au provincial (35 %), ceux au fédéral (29 %) et les ministres (34 %) ne suscitent pas la confiance des Québécois.

Les opinions politiques influencent la perception de la population québécoise à l’égard des institutions. Les Québécois qui se disent progressistes ont tendance à accorder leur confiance aux différentes institutions et professions en plus grande proportion que les conservateurs. Exception faite du mariage, des grandes entreprises et des religions, le niveau de confiance envers les institutions est moins élevé chez les conservateurs que chez les progressistes. Les conservateurs sont à la fois ceux qui croient le moins dans les institutions et ceux qui sont les plus nombreux à croire aux théories de la conspiration et aux fausses nouvelles, d’après les résultats du sondage.

FAUSSES NOUVELLES ET LIBERTÉ D’EXPRESSION
Même si les Québécois s’inquiètent de la montée en popularité des fausses nouvelles, ils restent mitigés quant aux moyens à mettre en place pour y faire face. Certains craignent qu’en résultent des mesures limitant la liberté d’expression. Parmi les répondants, 43 % estiment que, pour enrayer ou limiter les discours haineux et les fausses nouvelles, il convient de restreindre la liberté d’expression sur le Web, alors que 50 % s’y opposent. Même si les répondants sont divisés au sujet des restrictions à la liberté d’expression, ils ne remettent pas en cause la démocratie. Pour 89 % d’entre eux, vivre en démocratie est important, contre seulement 5 % qui considèrent que ce ne l’est pas.

QUE FAIRE POUR ENDIGUER LE PHÉNOMÈNE ?
Le phénomène des fausses nouvelles semble être le symptôme de transformations majeures vécues par les médias, de l’émergence des technologies de l’information, de la polarisation du débat public et du faible niveau de confiance envers certaines institutions. Les réseaux sociaux constituent pour de nombreuses personnes l’agora permettant l’expression d’opinions, et le partage de nouvelles –  qu’elles soient vraies ou fausses  – devient un moyen d’exprimer une critique, dont le fondement est souvent légitime.

Dans un monde de plus en plus complexe, les théories de la conspiration et les fausses nouvelles offrent souvent des réponses simples à des problèmes difficiles à cerner. Des craintes face aux flux migratoires peuvent nous porter à croire et à partager de fausses nouvelles liées au coût de l’immigration, par exemple. Au même titre, un malaise face au pouvoir de l’industrie pharmaceutique peut nous rendre plus prompts à remettre en question les bienfaits de la vaccination. Les fausses nouvelles sont-elles devenues un refuge devant l’incertitude croissante qui caractérise notre époque ?

Cette réalité ne risque pas de se régler si on confie aux Facebook, Google, Twitter et YouTube de ce monde le pouvoir de réguler, voire de restreindre, la liberté d’expression. D’autant que les médias, au Québec et ailleurs, sont en crise et peinent à financer de la nouvelle de qualité. Le développement de la pensée critique, des compétences civiques et de la culture scientifique, la prise de conscience des dangers des fausses nouvelles, un soutien aux médias d’information et un travail constant des institutions pour regagner la confiance des citoyens semblent être des solutions plus durables à un malaise démocratique profond, et dont on saisit mal les répercussions à long terme.

MÉTHODOLOGIE
Un sondage Web a été réalisé par la firme Léger du 27 juin au 4 juillet 2019 auprès d’un échantillon de 1015 Québécois âgés de 18  ans et plus, pouvant s’exprimer en français ou en anglais et utilisant les réseaux sociaux au moins une fois par semaine. À l’aide des données de Statistique Canada, les résultats ont été pondérés selon l’âge, le sexe, la région, la langue maternelle et la scolarité afin de rendre l’échantillon représentatif de l’ensemble de la population étudiée. Le rapport complet des résultats peut être consulté sur le site Web de L’état du Québec 2020 : inm.qc.ca/edq2020.

NOTES

1. The Economist Intelligence Unit. « Democracy Index 2018: Me too ? Political participation, protest and democracy ». 2019, p. 5. https://www.eiu.com/topic/democracy-index.

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