L’état du Québec 2020 | Clé 16
La démocratie canadienne répond-elle aux attentes des citoyens?
Daniel Savas
Professeur à l’École des politiques publiques de l’Université Simon Fraser et chercheur principal du projet Renforcer la démocratie du Centre Morris J. Wosk pour le dialogue
Shauna Sylvester
Directrice générale du Centre Morris J. Wosk pour le dialogue de l’Université Simon Fraser
Traduction d’Aroa El Horani
Ce texte est issu de la clé 16 de la publication annuelle de l’INM L’état du Québec 2020.
Selon la plupart des critères, le Canada est reconnu comme un pilier de la stabilité démocratique. D’après l’Indice de démocratie, publié par le magazine The Economist, pour l’année 2018, le Canada arrive en bonne position en matière de processus électoral, de fonctionnement du gouvernement, de participation politique, de culture politique et de libertés civiles. Depuis plus d’une décennie, le Canada se classe parmi les 10 plus grandes démocraties du monde. Mais que pensent réellement les Canadiens de leur démocratie ? Répond-elle à leurs attentes ? Sommes-nous perméables à l’attrait des forces populistes antidémocratiques qui gagnent du terrain dans d’autres pays ?
Il est essentiel de permettre aux citoyens canadiens de se prononcer sur leur démocratie. Sans leur sceau d’approbation pour confirmer qu’elle répond à leurs attentes, elle serait compromise. Si avoir des institutions démocratiques robustes est indispensable à la santé de notre démocratie, leur solidité se mesure à l’aune de la confiance qu’elles suscitent chez les citoyens et dans la culture démocratique qui sous-tend leur fonctionnement. Ce sont les citoyens qui, par l’expression de leur opinion et par leur engagement, donnent à la démocratie sa légitimité.
Dans le cadre de son projet Renforcer la démocratie canadienne1, le Centre Morris J. Wosk pour le dialogue de l’Université Simon Fraser a pris le pouls des citoyens canadiens en sollicitant leur point de vue sur la démocratie au moyen d’un sondage national mené en juillet 2019. L’enquête a révélé que la population soutient massivement les valeurs démocratiques tout en éprouvant des frustrations dans son expérience de la démocratie. Les résultats du sondage indiqueraient l’émergence d’un malaise démocratique, lequel découle de la perte de confiance des citoyens dans la capacité de la démocratie canadienne de fidèlement représenter leurs opinions et leurs intérêts, ainsi que d’inquiétudes sur la désinformation et les fausses nouvelles.
Notre démocratie et nos institutions démocratiques sont incontestablement robustes. Néanmoins, même si elles ne risquent aucunement de s’effondrer sous nos yeux, on voit apparaître des brèches dans l’assise démocratique qui doivent être examinées afin que soit garantie la solidité de la démocratie face aux forces antidémocratiques présentes dans le monde.
LA DÉMOCRATIE CANADIENNE EST-ELLE DÉMOCRATIQUE ?
Le niveau d’approbation des citoyens canadiens quant à la gouvernance démocratique de leur pays n’est pas particulièrement élevé. Abstraction faite de leurs opinions particulières sur la démocratie, le processus ou les valeurs démocratiques, un peu plus de la moitié d’entre eux (55 %) sont d’avis que les citoyens, par l’intermédiaire de leurs représentants élus, participent à la prise des décisions qui les affectent. Parmi eux, rares sont ceux qui éprouvent pleinement ce sentiment (10 %) ; de surcroît, plus de 4 personnes sur 10 (43 %) estiment que notre pays n’est pas gouverné démocratiquement. De manière générale, les Canadiens donnent un médiocre 5,9 sur 10 à leur pays sur le plan de la gouvernance démocratique.
SATISFACTION PAR RAPPORT AUX VALEURS ET AUX PRINCIPES DÉMOCRATIQUES
Les citoyens canadiens affirment fermement que le Canada doit maintenir certains principes démocratiques fondamentaux liés à la gouvernance et au processus politique. Par exemple, une majorité considérable de répondants (76 %) croit au transfert légitime du pouvoir par le biais d’élections, dans lesquelles le parti perdant accepte la défaite et respecte l’issue de l’exercice électoral. Il y a également une forte opposition à l’idée selon laquelle les personnes qui sont en désaccord avec la majorité constituent une menace pour le Canada.
Les opinions exprimées sont moins tranchées quant à savoir qui devrait avoir son mot à dire dans le processus décisionnel du gouvernement. Une faible majorité (53 %) ne soutient pas l’idée selon laquelle les citoyens nés au Canada devraient avoir davantage voix au chapitre quant à l’action du gouvernement. Toutefois, un tiers des répondants (34 %) pense que les Canadiens nés à l’extérieur du pays devraient avoir moins de place pour se prononcer. Cela remet en cause le principe démocratique de l’égalité et nourrit le discours opposant le « nous » à « l’autre » qui est souvent utilisé pour créer la division plutôt que le consensus.
De manière générale, les Canadiens sont d’avis que le niveau des garanties et des libertés démocratiques dans notre pays est adéquat, en particulier en ce qui concerne la liberté d’expression (62 %) et la liberté de la presse (60 %). En revanche, ils trouvent que la situation au Canada laisse à désirer au chapitre de l’égalité des sexes (48 % « trop peu »), et les opinions sont divisées quant à la protection des droits des minorités (« niveau raisonnable » d’après 42 %, « trop peu » selon 34 % et « trop » pour 24 %). Bien qu’une majorité de citoyens (56 %) soient satisfaits de la protection de la liberté de religion, beaucoup d’entre eux (28 %) estiment que notre pays en offre « trop ».
Les citoyens canadiens qui sont les plus enclins à croire que le Canada défend les principes démocratiques sont ceux qui résident en Colombie-Britannique, vivent en milieu urbain ou en banlieue, sont nés au Canada et ont un diplôme universitaire. De leur côté, les résidents du Québec sont plus susceptibles de penser qu’il y a « trop » de liberté de religion au Canada (48 %, comparativement à un sur cinq dans le reste du pays). De plus, les Québécois (38 %), les Canadiens des provinces de l’Atlantique (38 %) et les résidents de la Saskatchewan et du Manitoba (40 %) auraient plus tendance à penser que la voix des Canadiens nés au Canada devrait peser plus en matière de gouvernement que celle des citoyens nés à l’extérieur du pays. Les répondants qui partagent cet avis ont également un niveau d’éducation moins élevé (48 % de ceux ayant un diplôme d’études secondaires ou moins contre 22 % de ceux possédant un diplôme universitaire).
LA PLACE DES CANADIENS AU SEIN DE LEUR DÉMOCRATIE
La bonne marche de la démocratie nécessite que les citoyens aient la conviction qu’ils ont un rôle important à jouer dans son fonctionnement, c’est-à-dire qu’ils croient que leur voix sera entendue et qu’ils aient une attente raisonnable d’avoir une influence sur les décisions qui sont prises. En 2019, dans l’ensemble, les Canadiens font état d’un sentiment d’insatisfaction quant à leur participation au système démocratique et ils dressent un portrait nettement négatif de la sensibilité des dirigeants à leurs intérêts. Par exemple, ils ne sont pas tout à fait convaincus que le vote leur permette de peser sur la manière dont le gouvernement dirige le pays (56 % oui, 44 % non), ni que leurs efforts pour influencer le gouvernement puissent avoir une grande incidence (44 % oui, 56 % non). De surcroît, une forte majorité (68 %) estime que les élus ne se soucient guère de ce que les citoyens ordinaires pensent, et plus de 6 répondants sur 10 (61 %) considèrent que le gouvernement fait fi de leurs intérêts au profit des élites. Enfin, 44 % pensent que les possibilités manquent pour leur permettre de prendre part au processus démocratique.
Quelles sont les catégories de citoyens qui éprouvent le plus un sentiment d’exclusion du système démocratique canadien ? Les Québécois ont le moins tendance à croire que le vote leur donne voix au chapitre (49 %, contre 60 % des Ontariens et des Britanno-Colombiens) ou qu’ils puissent influencer la manière dont le gouvernement dirige le pays (40 %, contre 47 % des Ontariens). Toutefois, comparativement aux résidents des autres provinces, ils ont plus tendance à estimer que les élus tiennent compte de ce que les citoyens comme eux pensent (37 %, contre 25 % des Albertains).
Les Canadiens situés aux extrêmes des catégories d’âge ont la conviction la plus forte que leur vote importe (64 % du groupe des 18-24 ans, 62 % de celui des 65 ans et plus) – un mélange d’optimisme de jeunesse et de sagesse acquise par le vécu, peut-être ? Ces deux groupes sont également plus enclins que les autres à croire que les élus tiennent compte de ce qu’ils pensent (36 % et 39 %, respectivement).
LA DÉMOCRATIE PAR RAPPORT AUX AUTRES OPTIONS
D’après une déclaration restée célèbre de Winston Churchill, « la démocratie est la pire forme de gouvernement, à l’exception de toutes les autres ». La question se pose donc de savoir si c’est le régime préféré par les Canadiens. Sinon, penchent-ils pour les autres options ? Les résultats du sondage mené par le Centre pour le dialogue en juillet 2019 montrent clairement qu’une grande majorité de citoyens canadiens (77 %) préfèrent la démocratie aux autres formes de régime. Il est important de souligner que ce résultat représente une augmentation de 12 points de pourcentage par rapport à il y a deux ans2. Qu’est-ce qui a changé depuis ? Incontestablement, l’intensification dans les dernières années d’une couverture médiatique faisant état d’une crise imminente de la démocratie a suscité une réflexion sur ce que cela signifie de vivre en démocratie, et peut-être le désir de ne pas considérer la démocratie canadienne comme acquise.
Pourtant, tout n’est pas parfait dans le régime canadien. De nombreux citoyens ne sont pas des démocrates résolus ; 13 % des répondants estiment qu’il importe peu que le gouvernement soit démocratique ou non, et 11 % considèrent un régime autoritaire comme acceptable dans certaines circonstances. De plus, interrogés sur ce qu’ils pensent de la démocratie représentative3, les répondants expriment, avec un appui modéré au mieux, qu’elle est une bonne manière de gouverner le Canada.
Cet appui est de surcroît à la baisse depuis deux ans. Alors qu’une forte majorité (84 %) appuie la démocratie en 2019, la plupart des répondants (59 %) ne le font que modérément. Comparativement au sondage réalisé au Canada en 2017 par le Pew Research Center, cette impression, qui s’apparente à un haussement d’épaules et qui à l’époque caractérisait 44 % des répondants4, s’est renforcée, et ce, alors que l’opinion positive tranchée (« très bonne manière de gouverner ») a dégringolé de 18 points.
Dans quelle mesure la frustration vécue par les Canadiens par rapport au fonctionnement de leur gouvernement affecte-t-elle leur préférence pour la démocratie ? Les résultats du sondage montrent que les répondants qui croient en l’importance du vote auraient plus tendance à préférer la démocratie que ceux qui ont une vision moins positive du vote (85 % contre 67 %).
De la même manière, les Canadiens qui ont l’impression qu’ils peuvent exercer une influence sur le gouvernement témoignent d’un plus fort attachement à la démocratie que ceux qui ne croient pas qu’ils ont les moyens d’avoir une influence (84 % contre 72 %). Les citoyens qui valorisent le vote et qui estiment qu’ils peuvent exercer une influence sur le gouvernement ont tendance à exprimer une vision plus positive de la démocratie représentative et à penser que le Canada est gouverné de manière démocratique.
De manière globale, la démocratie est préférée partout au pays, bien que les résidents du Québec (78 %), du Canada atlantique (79 %) et de la Colombie-Britannique (78 %) s’expriment avec plus de force que les résidents des Prairies (73 %). Les Canadiens âgés de 65 ans et plus (87 %) sont plus disposés à préférer la démocratie que les 18 à 24 ans (72 %) ; cette propension est aussi plus élevée chez ceux qui ont un diplôme universitaire (84 % contre 67 % de ceux possédant un diplôme d’études secondaires ou moins) ainsi que chez les Canadiens ayant une situation financière stable (81 % contre 71 % de ceux qui éprouvent des difficultés financières).
Si les Canadiens ne sont pas tout à fait enchantés par leur vie en démocratie, qu’en est-il des autres options ? En dépit d’un attachement faiblissant à la démocratie représentative, ils ne semblent pas prêts à complètement écarter leur système démocratique actuel. En 2019 70 % des répondants soutiennent l’idée selon laquelle la démocratie directe serait une bonne manière de diriger le Canada5; cependant la plupart d’entre eux (47 %) expriment une opinion modérée. En somme, on ne peut pas dire que la population canadienne réclame à grands cris le remplacement de la forme actuelle de démocratie, si ce n’est qu’ils souhaitent avoir un rôle plus direct et s’exprimer plus directement dans le processus décisionnel.
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L’ATTRAIT DU POPULISME
Devant les nombreux exemples de discours populistes antidémocratiques menaçant les plus stables des démocraties – évoquons ne serait-ce que les plus évidents, ceux entourant le Brexit et ceux tenus par Donald Trump –, nous serions en droit de nous demander si cette forme de populisme pourrait trouver un terreau fertile chez nous, compte tenu de l’insatisfaction des Canadiens à l’égard de leur démocratie. Les résultats du sondage donnent un début de réponse, indiquant que les Canadiens sont certes sensibles aux appels populistes lancés par des candidats aux élections, mais que jouer la carte du populisme a ses limites. Ainsi, une majorité importante des répondants (79 %) se disent plus susceptibles de voter pour un candidat qui représente le citoyen ordinaire contre l’élite. De la même façon, plus de la moitié des répondants (53 %) soutiendraient un candidat qui réussit à toucher leur sentiment de fierté nationale par des slogans comme Le Canada d’abord, même si de telles déclarations risquent d’affecter les relations avec nos alliés. Alors que l’appel aux intérêts des citoyens ordinaires ou à leur patriotisme a cours depuis des décennies dans la politique canadienne, il est souvent le véhicule de manipulations à visée antidémocratique, comme le fait de dénoncer des experts, de présenter les médias comme ennemis du peuple, ou encore de diaboliser « l’autre ».
Mais le populisme antidémocratique au Canada ne risque pas moins de se heurter à des barrières sur deux fronts : les attaques contre le gouvernement et les médias. Les candidats qui s’en prendraient aux médias, les accusant d’être partisans ou de diffuser de fausses nouvelles, ou qui se prononcent contre le gouvernement, perdraient le soutien d’une bonne majorité des Canadiens (58 % et 71 % des répondants, respectivement, se disent « moins susceptibles » de voter pour eux). Toutefois, 3 répondants sur 10 affirment que les attaques d’un candidat contre les médias les motiveraient à voter pour lui. À l’échelle du pays, les Québécois sont deux fois plus sujets à soutenir des candidats qui s’en prennent aux médias (49 %, contre environ 1 sur 5 ailleurs au Canada). Cette opinion est partagée par une large proportion de citoyens canadiens nés à l’étranger sous des régimes autoritaires (37 %, contre 27 % des répondants nés dans des démocraties pleines).
COMMENT LA DÉSINFORMATION TOUCHE-T-ELLE LA DÉMOCRATIE ?
La désinformation et les fausses nouvelles ont de graves répercussions sur la démocratie canadienne, car elles alimentent la méfiance entre les individus, et entre les individus et les institutions dont nous dépendons. La propagande n’est pas nouvelle, mais les outils de désinformation et de tromperie sont plus accessibles que jamais via les plateformes en ligne. Et les Canadiens s’en inquiètent : une majorité significative (79 %) estime que l’existence de nouvelles ou d’informations fausses ou trompeuses constitue un problème pour la démocratie au Canada, y compris plus de 4 sur 10 (46 %) qui considèrent qu’il s’agit d’un problème sérieux. Un nombre similaire de Canadiens croient que l’accès aux médias sociaux augmente le risque que des acteurs étrangers s’ingèrent dans les élections canadiennes (71 %) ou que les Canadiens pourraient être manipulés par leurs propres politiciens (71 %).
Les Canadiens perçoivent l’accès à Internet, aux téléphones mobiles et aux médias sociaux comme une arme à double tranchant. D’une part, ils croient que cet accès contribue à une plus grande polarisation au Canada, ce qui rend les gens plus divisés dans leurs opinions politiques (58 %) et moins susceptibles d’accepter ceux qui ont des opinions différentes (42 %). Une majorité s’inquiète également du fait que la désinformation a des répercussions sur la confiance qu’ont les Canadiens dans leurs institutions gouvernementales (53 %) et dans la capacité de leurs dirigeants politiques à résoudre les problèmes (57 %). Cela approfondit leur sentiment d’aliénation par rapport au processus politique et à leurs élus. D’autre part, une majorité de Canadiens croient que l’accès à ces technologies rend les gens plus disposés à s’engager dans des débats politiques (55 %) et augmente la capacité des Canadiens ordinaires d’avoir une voix significative dans le processus politique (61 %).
La question à se poser est simple : comment la démocratie canadienne peut-elle tirer profit des plateformes en ligne tout en minimisant leurs impacts négatifs ? La plupart des Canadiens (44 %) veulent que le gouvernement fédéral réglemente les plateformes en ligne plutôt que de laisser les entreprises de médias sociaux s’autoréglementer (26 %) ou de rejeter tout règlement (14 %). Ils sont également plus enclins à vouloir un système de vérificateurs de faits mis en place pour aider à repérer les fausses nouvelles (64 %) et pour prévenir (60 %) ou supprimer (61 %) le contenu répréhensible en ligne. Pourtant, 4 sur 10 préfèrent malgré tout être laissés seuls pour décider eux-mêmes ce qu’ils voient ou lisent en ligne. Ainsi, un équilibre délicat entre la réglementation et les libertés individuelles est probablement la voie à prendre pour aller de l’avant.
SENTIMENT D’APPARTENANCE ET DÉMOCRATIE
Personne ne devrait s’étonner d’apprendre que les Canadiens sont un peuple fier. Quiconque a cousu une feuille d’érable sur son sac à dos pour voyager ou a versé une larme en entendant jouer « Ô Canada » pendant les cérémonies de remise des médailles lors des Jeux olympiques témoigne d’une fierté sincère et d’un sentiment d’appartenance à son coin du monde. Les résultats du sondage révèlent que 8 Canadiens sur 10 se sentent attachés au Canada ou à leur province ou territoire ; un peu plus de 7 sur 10 éprouvent un sentiment d’attachement à leur quartier. Le sentiment d’attachement le plus fort chez les Québécois (« très fort » pour 49 %), les Albertains (47 %) et les Canadiens des provinces atlantiques (47 %) est celui qu’ils éprouvent envers leur province ; les résidents du Canada atlantique (36 %) et de la Colombie-Britannique (32 %) entretiennent un lien fort à leur quartier.
Il est intéressant de constater que la force du lien qui nous attache à l’espace géographique qu’on habite est également associée à l’engagement envers la démocratie. Les Canadiens qui éprouvent un fort sentiment d’appartenance à leur quartier, province ou territoire, ou au Canada, sont aussi plus susceptibles que les autres de préférer la démocratie comparativement aux autres formes de régime, de croire qu’ils ont un rôle à jouer au sein du système démocratique, de penser qu’ils sont en mesure d’influer sur le processus décisionnel du gouvernement, et de faire confiance aux acteurs et aux institutions démocratiques. De plus, le sentiment d’appartenance est associé à une plus grande confiance en ses voisins et dans les personnes d’origines ethniques diverses, ainsi qu’à un niveau plus élevé de participation aux activités communautaires et démocratiques.
QUELQUES RÉFLEXIONS
Qu’indiquent les résultats du sondage au sujet de l’opinion qu’ont les Canadiens de leur démocratie ? Quelles sont les suggestions qui en ressortent pour rendre cette démocratie plus résiliente ? Alors que le Canada demeure un pilier fort dans le contexte démocratique global, les résultats indiquent que nous ne pouvons pas nous permettre d’être complaisants ou d’imaginer que nos institutions, processus et traditions démocratiques sont entièrement à l’abri des pressions qui touchent d’autres pays. En effet, il semblerait que c’est tout le contraire. Il est urgent que tous les ordres de gouvernement au Canada appuient sans réserve un vaste éventail d’actions pour revitaliser les processus et les institutions démocratiques du pays et pour mobiliser des ressources afin de renforcer l’engagement des Canadiens envers les valeurs démocratiques.
Quelles sont les mesures qui s’imposent ? Les gouvernements peuvent agir sur quatre fronts. Tout d’abord, ils peuvent s’engager à investir de façon importante dans l’éducation civique de manière à promouvoir les valeurs démocratiques auprès des Canadiens. En effet, 60 % des répondants estiment que la sensibilisation des citoyens à leurs droits et responsabilités laisse à désirer. Cela implique, par exemple, le développement de pratiques et d’occasions novatrices pour donner aux citoyens la possibilité de participer et de faire l’expérience de leur démocratie au-delà du geste électoral tous les quatre ans. Le risque de l’inaction sur ce plan, en particulier pour les jeunes et les nouveaux arrivants au pays, est de ne pas établir les assises nécessaires au fonctionnement de la démocratie et à la conscientisation à l’importance de la citoyenneté active.
Ensuite, les gouvernements pourraient prendre des mesures pour moderniser les processus décisionnels de manière à permettre une représentation et une prise en compte plus fidèles et significatives des opinions et des intérêts des citoyens. Cela nécessiterait d’aller au-delà des instruments de consultation classiques tels que les sondages et les groupes témoins et d’adopter des méthodes plus efficaces pour tenir compte des opinions des citoyens dans le processus d’élaboration des politiques publiques (p. ex., des dialogues de délibération, des assemblées citoyennes, des jurys de citoyens, etc.) pour permettre de boucler la boucle en faisant état de ce qui a été retenu et de la façon dont l’apport des citoyens a été intégré dans les décisions6. Par ailleurs, ils pourraient expérimenter avec des plateformes numériques novatrices pour approfondir la participation directe des citoyens dans le processus décisionnel démocratique (p. ex. DemocracyOS, Ethelo, Democracy Earth, etc.). Ces plateformes ont été testées dans diverses administrations et elles pourraient être utilisées au Canada pour approfondir le dialogue avec les citoyens sur les questions qui les touchent. Le danger, si on ne trouve pas de moyens d’inclure les citoyens de manière efficace dans l’action gouvernementale, est de créer un écart entre l’action gouvernementale ou les intentions du gouvernement et l’expérience de tous les jours des citoyens. Moins les citoyens se reconnaissent dans les résultats de l’action gouvernementale, plus leur insatisfaction peut monter, car ils ne se sentent alors pas écoutés à la hauteur de leurs attentes. Une telle situation serait source de cynisme, de complaisance ou de choix perturbateurs qui pourraient miner nos valeurs démocratiques et compromettre notre démocratie.
Puis, ils doivent attaquer de front les menaces à la démocratie posées par les technologies et la désinformation. En ce moment, les gouvernements et les institutions démocratiques ne peuvent suivre le rythme des changements technologiques qui forgent la vie des Canadiens et des Canadiennes. Les gouvernements devront rehausser le niveau de leur engagement non seulement par la conception et l’adoption de nouvelles technologies pour dissiper les craintes liées à la sécurité, mais aussi par l’élaboration de cadres réglementaires novateurs visant à éliminer ou à minimiser les menaces posées par des influences négatives propres à corrompre nos processus démocratiques. Le risque de l’inertie est que les Canadiens perdent toute confiance en leur démocratie et cherchent des solutions de rechange moins nobles. Leur confiance dans le système, déjà entamée, pourrait baisser davantage encore et, ultimement, devenir une menace à sa légitimité. Nous en sommes encore loin, mais les brèches déjà apparentes dans la démocratie canadienne aujourd’hui devraient être colmatées pour garantir que nous n’en arriverons pas là.
Enfin, les gouvernements pourraient investir dans le développement du sentiment d’appartenance au sein des communautés de manière à renforcer la satisfaction des citoyens à l’égard de la démocratie. Les fondations communautaires partout au pays comprennent l’importance de renforcer le sentiment de communauté et savent que celui-ci participe à la création de liens durables entre groupes sociaux et entre personnes, y compris d’origines diverses. Les résultats de notre sondage montrent également que les liens sociaux et les projets communautaires peuvent véhiculer d’autres formes d’engagement démocratique et une confiance accrue dans les acteurs et les institutions de la démocratie. À un moment où les regards se tournent vers des événements et des acteurs au-delà de nos frontières, les gouvernements auraient intérêt à diriger une partie au moins de leurs efforts et de leurs ressources vers ce qui se passe à l’intérieur de nos collectivités.
MÉTHODOLOGIE
Au nom du Centre pour le dialogue de l’Université Simon Fraser, un sondage a été effectué par la firme Advanis du 5 au 15 juillet 2019, auprès d’un échantillon de 3524 Canadiens âgés de 18 ans et plus. Les résultats ont été pondérés selon l’âge, le sexe, la province ou le territoire afin de rendre l’échantillon représentatif de l’ensemble de la population étudiée. Le rapport complet des résultats peut être consulté sur le site Web du projet Renforcer la démocratie canadienne à democracydialogue.ca.
NOTES
1. Centre Morris J. Wosk pour le dialogue de l’Université Simon Fraser. « Renforcer la démocratie canadienne ». https://www.democracydialogue.ca/.
2. Latin American Public Opinion Project (LAPOP). « AmericasBarometer: The public speaks on democracy and governance in the Americas – Canada 2017 », 2017. Au total, 65 % des Canadiens affirment préférer la démocratie.
3. Définie dans le sondage de 2017 du Pew Research Center comme « un régime démocratique dans lequel des représentants élus par les citoyens décident des lois ». Voir Pew Research Center. « Globally, broad support for representative and direct democracy ». 2017.
4. Ibid.
5. Définie dans le sondage de 2017 du Pew Research Center comme « un régime démocratique où les citoyens, et non des représentants élus, votent directement sur les principales questions nationales afin de décider des lois ». Ibid.
6. Centre Morris J. Wosk pour le dialogue de l’Université Simon Fraser. « Principles for collaborative public engagement ». https://www.sfu.ca/content/dam/sfu/centre-for-dialogue/PDF/Principles%20for%20Collaborative%20Public%20Engagement.pdf ; Centre Morris J. Wosk pour le dialogue de l’Université Simon Fraser. « Principes pour la mobilisation démocratique ». https://www.democracydialogue.ca/copy-of-about-us.