L’état du Québec 2022 | L’avenir est-il d’abord communautaire?
Pour en finir avec le racisme envers les Peuples autochtones
Photo : © Jacques Nadeau, Le Devoir
Tanya Sirois
Directrice générale, Regroupement des Centres d’amitié autochtones du Québec
Armand MacKenzie
Directeur aux relations publiques, Regroupement des Centres d’amitié autochtones du Québec.
Ce texte est issu la publication annuelle de l’INM, L’état du Québec 2022, publiée chez Del Busso Éditeur.
De la mort d’une femme atikamekw maltraitée à l’hôpital de Joliette à la découverte de centaines de corps d’enfants autochtones sur les sites d’anciens pensionnats canadiens, les cas de racisme systémique et de discrimination envers les Autochtones constituent des violations manifestes de leurs droits fondamentaux. Les auteurs prônent dès lors l’adoption d’un « nouveau contrat social » au Québec.
La persistance du racisme systémique, de la discrimination raciale et de l’intolérance envers les Peuples autochtones
En janvier 2021, au coeur de la pandémie, se cachant de la police en raison du couvre-feu sanitaire imposé par les autorités publiques, un homme autochtone en situation d’itinérance meurt dans une toilette chimique 1 au centre-ville de Montréal.
Quelques mois plus tôt, à l’hôpital de Joliette, une femme atikamekw en état de crise utilise son téléphone portable pour diffuser un appel à l’aide sur les réseaux sociaux où elle décrit sa détresse en langue atikamekw. Une scène troublante est captée sur vidéo : le personnel soignant profère des insultes racistes et culpabilisantes à son égard 2. Elle décède quelques heures plus tard.
À Kamloops (Colombie-Britannique) en juin 2021, puis à plusieurs endroits au Canada par la suite, des tombes anonymes et des corps d’enfants autochtones sont découverts sur les sites d’anciens pensionnats, plusieurs années après le décès de ces jeunes pensionnaires, loin de leurs communautés d’origine et de leurs familles 3. Des groupes des Premières Nations expriment leur volonté que des recherches soient effectuées sur les sites de ces anciens pensionnats indiens, au Québec 4 et ailleurs au pays.
À l’automne 2020, un conflit éclate entre la communauté algonquine de Lac-Barrière et des chasseurs allochtones 5. Les Autochtones demandent un moratoire sur la chasse à l’orignal en raison de la baisse des populations de l’animal sur le territoire de la réserve faunique La Vérendrye. Des barrages sont installés, et les tensions montent rapidement.
À Sept-Îles, en juin 2019, on assiste à une levée de boucliers contre l’annonce d’un projet de résidence pour étudiantes et étudiants autochtones sur la rue Holliday 6. Les personnes résidant dans le secteur estiment qu’il y aura une diminution de la valeur de leurs propriétés et craignent « une hausse de la criminalité ».
On pourrait ainsi continuer la liste pour illustrer la dynamique des relations parfois tendues entre les populations autochtone et allochtone.
Comment est-il possible qu’en 2021, on doive encore faire face à des situations d’intolérance envers les Premiers Peuples ? Pourquoi la violence raciale envers ces groupes faisant pourtant partie de la société est-elle permise ? Pourquoi le profilage racial envers les Autochtones dans les milieux urbains de la province persiste-t-il ? Comment se fait-il qu’au Québec, le taux de judiciarisation de la jeunesse autochtone soit plus élevé que celui de la population générale, à un point tel qu’une communauté autochtone doive s’opposer aux autorités provinciales de la protection de la jeunesse comme ce fut le cas à Sept-Îles 7?
C’est que — quoi qu’on en dise — le colonialisme, tant au Québec que dans le reste du Canada, a conduit au racisme envers les Peuples autochtones. Ces derniers ont été les victimes de lois ou de pratiques fondées sur la race (à l’instar de la Loi sur les Indiens), de discrimination raciale ou d’intolérance, subissant de ce fait des inégalités sociales et économiques et se trouvant marginalisés au sein de la société québécoise et canadienne, qui accepte de façon tacite et parfois ouvertement cette réalité somme toute injuste.
Malgré les efforts pour redresser cette situation, le racisme, la discrimination raciale et l’intolérance envers les Peuples autochtones demeurent la source de violations flagrantes de leurs droits fondamentaux. Encore aujourd’hui, on sous-estime les effets dévastateurs du racisme sur l’épanouissement des collectivités autochtones. Le racisme porte pourtant directement atteinte à la fierté et à la dignité humaines, deux éléments fondamentaux de la reconstruction et de l’affirmation identitaire d’un peuple.
Ces comportements discriminatoires, dont certains parviennent parfois à nous sortir de notre profonde indifférence à l’égard de la situation des Peuples autochtones, prennent diverses formes dans la société actuelle. Pour certains, il est encore acceptable de prôner des idéologies et de se livrer à des pratiques fondées sur la discrimination ou la supériorité raciale ou ethnique. Cela est d’ailleurs particulièrement flagrant sur les réseaux sociaux, où l’incitation à l’intolérance raciale et la diffusion de stéréotypes négatifs sont bien présentes.
Tant que de telles idéologies ou pratiques ne seront pas combattues dans les différentes sphères de la société, certains continueront à commettre des actes qui reposent sur la discrimination raciale. Il est temps de mettre fin à notre aveuglement volontaire devant ces manifestations de racisme.
Le Mouvement des Centres d’amitié autochtones
Établi au Canada depuis le milieu des années 1950, le Mouvement des Centres d’amitié autochtones a été au coeur des luttes visant la reconnaissance, en toute égalité, des droits individuels et collectifs, et notamment des droits des femmes autochtones 8. Les Centres d’amitié autochtones au Québec sont des carrefours de services indispensables pour la population autochtone urbaine. Ils sont devenus au fil du temps la plus grande infrastructure de services urbains pour les Autochtones qui vivent ou sont de passage dans les villes en leur offrant une gamme de services intégrés visant le mieux-être des collectivités.
À la lumière de plusieurs études et enquêtes, force est de constater que les personnes autochtones qui désirent améliorer leur situation socioéconomique, poursuivre des études supérieures, obtenir un emploi en dehors du système des conseils de bande n’auront d’autre choix que de quitter leur communauté. Sortis de ce milieu où ils trouvaient une certaine sécurité culturelle, les Autochtones vivant en milieu urbain devront composer avec d’autres réalités : préjugés, racisme, isolement, pauvreté et difficultés d’accessibilité aux services publics.
Que ce soit sur les terres réservées aux Indiens ou en ville, les Autochtones sont les victimes de la marginalisation et de l’exclusion sociales. Ils sont la plupart du temps bafoués dans leur droit d’accès — dans des conditions d’égalité — à l’éducation, aux soins de santé, aux services sociaux, à la justice et au logement.
C’est le mandat du Mouvement des Centres d’amitié autochtones de soutenir et d’accompagner les Autochtones qui rencontrent des obstacles dans leur développement personnel et familial dans les différentes villes du Québec. Nous veillons au grain dans la défense de leurs droits et intérêts. Nous assurons le lien entre la société québécoise et la société civile autochtone. Nous sommes un observatoire de la lutte contre le racisme envers les Autochtones.
Nos stratégies reposent sur la promotion de l’égalité des peuples et la reconnaissance de notre spécificité culturelle. Nos interventions promeuvent l’égalité des chances, la valeur de la dignité humaine et l’importance pour toutes et tous de prendre part activement à la vie en société dans tous ses aspects.
L’adoption d’un nouveau contrat social au Québec
Selon nous, il est plus que temps que nous adoptions un « nouveau contrat social » au Québec et que nous mettions en place les conditions gagnantes pour mettre fin aux préjugés et aux stéréotypes visant les Peuples autochtones. Cela devrait notamment se traduire par la mise en oeuvre des recommandations de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec (aussi appelée « commission Viens ») 9, de même que celles de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (aussi appelée « commission Laurent »)10. Dans les deux cas, les commissaires ont reconnu l’existence d’un racisme systémique, ou du moins d’une discrimination envers les populations autochtones dans les institutions publiques.
D’une part, le juge Viens en est venu à cette conclusion : « Il me semble impossible de nier la discrimination systémique dont sont victimes les membres des Premières Nations et les Inuit dans leurs relations avec les services publics. » D’autre part, la commission Laurent reconnaît que « la Loi sur la protection de la jeunesse produit des effets discriminatoires envers les enfants autochtones lorsqu’elle est appliquée sans tenir compte des réalités autochtones ».
Ce nouveau contrat social implique également la reconnaissance de certains principes pour rétablir la justice sociale envers les Autochtones, et celui-ci doit nécessairement intégrer les dispositions prévues dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones 11.
Ainsi, nous devrions reconnaître que les doctrines politiques et les pratiques qui invoquent ou prônent la supériorité de peuples ou d’individus en se fondant sur des différences raciales ou culturelles sont racistes, scientifiquement fausses, juridiquement sans valeur, moralement condamnables et socialement injustes. Des mesures de prévention et de réparation visant à pénaliser toute forme de communication violente dirigée contre les Premiers Peuples devraient être créées.
L’État devrait tout mettre en oeuvre afin de refléter dans l’ensemble de son réseau d’enseignement l’importance et la nécessité d’enseigner les faits et la vérité de l’histoire des Peuples autochtones, de même que les causes, la nature et les conséquences du colonialisme à leur endroit. Il serait tout aussi important d’honorer la mémoire des victimes des pensionnats indiens en reconnaissant l’ethnocide dont les enfants autochtones ont été victimes et en condamnant sans équivoque cette tragédie nationale.
Pour l’heure, il est assuré que le Regroupement des Centres d’amitié autochtones du Québec est prêt à coopérer avec l’État et d’autres organismes et institutions afin de travailler sur ce contrat social, en menant une campagne d’éducation dans les médias et les institutions publiques et en travaillant quotidiennement à sensibiliser les acteurs publics afin de promouvoir l’acceptation, la tolérance, la diversité culturelle et le respect des Premiers Peuples. Les réponses aux différents enjeux doivent être élaborées et construites par et pour les Autochtones avec l’appui des différents gouvernements.
Il ne tient qu’à nous de rétablir cette justice sociale tant souhaitée de part et d’autre de notre société.
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1 Corriveau, Jeanne, et Annabelle Caillou. « La mort d’un sans-abri sème la consternation ». Le Devoir, 19 janvier 2021. https://www.ledevoir.com/societe/593511/un-itinerant-trouve-mort-dans-une-toilette-portable-a-montreal
2 Nadeau, Jessica. « Ce qui s’est passé le jour de la mort de Joyce Echaquan ». Le Devoir, 29 mai 2021. https://www.ledevoir.com/societe/605538/enquete-publique-que-s-est-il-passe-le-jour-de-la-mort-de-joyce-echaquan. Voir également : Boutros, Magdaline, et Alexis Riopel. « Morte sous les insultes racistes d’une infirmière ». Le Devoir, 30 septembre 2020. https://www.ledevoir.com/societe/586901/morte-sous-les-insultes-racistes-d-une-infirmiere
3 Austen, Brian. « How Thousands of Indigenous Children Vanished in Canada ». The New York Times, 7 juin 2021. https://www.nytimes.com/2021/06/07/world/canada/mass-graves-residential-schools.html
4 Le Journal de Québec. « Côte-Nord : des démarches entreprises pour des recherches au pensionnat de Mani-utenam », 2 juillet 2021. https://www.journaldequebec.com/2021/07/02/cote-nord-des-demarches-entreprises-pour-des-recherches-au-pensionnat-de-mani-utenam-1
5 Riopel, Alexis. « Des orignaux au coeur d’un conflit entre chasseurs et Anichinabés ». Le Devoir, 26 septembre 2020 https://www.ledevoir.com/societe/environnement/586697/parc-la-verendrye-des-panaches-au-coeur-d-un-conflit. Voir également : Lamontagne, Nora T. « Frictions entre Autochtones et chasseurs d’orignaux ». Le Journal de Montréal, 22 septembre 2020. https://www.journaldemontreal.com/2020/09/22/frictions-entre-autochtones-et-chasseurs-dorignaux
6 Radio-Canada. « La résidence pour étudiants autochtones va de l’avant à Sept-Îles », 13 avril 2021. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1784353/cegep-appartements-innu-cpe
7 La Presse. « Vent de révolte des Innus contre la DPJ », 30 novembre 2020. https://www.lapresse.ca/actualites/enquetes/2020-11-30/cote-nord/vent-de-revolte-des-innus-contre-la-dpj.php
8 Le Regroupement des Centres d’amitié autochtones du Québec (RCAAQ) est un réseau de dix Centres d’amitié qui rejoint les Autochtones en leur offrant des services culturellement pertinents et sécurisants qui contribuent à l’harmonie et à la réconciliation entre les peuples dans diverses villes du Québec. Les Centres d’amitié autochtones sont la plus grande infrastructure de services urbains pour les Autochtones. Voir : https://www.rcaaq.info
9 Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics. Rapport final, Québec, 2019. 520 p. http://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/guides/fr/les-commissions-d-enquete-au-quebec-depuis-1867/7738-commission-viens
10 Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse. Instaurer une société bienveillante pour nos enfants et nos jeunes. Québec, 2021, 552 p. https://www.csdepj.gouv.qc.ca/accueil/
11 Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 13 septembre 2007. https://www.un.org/development/desa/indigenouspeoples/wp-content/uploads/sites/19/2018/11/UNDRIP_F_web.pdf