L’état du Québec 2020 | Clé 07

Quarante ans de participation publique en environnement : entre expression des conflits et gestion consensuelle

Laurence Bherer
Professeure agrégée au Département de science politique de l’Université de Montréal

Mario Gauthier
Professeur au Département des sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais

Louis Simard
Professeur agrégé à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa

Ce texte est issu de la clé 07 de la publication annuelle de l’INM L’état du Québec 2020.

En près de 40 ans, les revendications pour plus de participation et de transparence gouvernementale ainsi que la diffusion du principe de développement durable ont profondément transformé le secteur de l’environnement au Québec. Dans l’intervalle, divers types de dispositifs de participation publique ont vu le jour. Ils ont permis de démocratiser le rapport gouvernants-gouvernés et la relation entre les pouvoirs publics et la société civile. Retour sur quatre décennies de participation publique en environnement.

L’évolution des mécanismes de participation publique en environnement s’est faite de façon graduelle. Après l’adoption à la fin des années 1970 de la Loi sur la qualité de l’environnement, l’offre de dispositifs participatifs s’est progressivement accrue. Quel bilan de ces innovations en environnement au Québec sur le long terme peut être proposé ? Notre analyse tend à montrer qu’au cours des 40 dernières années, les dispositifs participatifs dans le secteur de l’environnement se sont multipliés. Aux dispositifs participatifs traditionnels ouverts et antagonistes permettant l’expression des conflits et des oppositions se sont progressivement ajoutés des dispositifs plus fermés, orientés vers la recherche du consensus et la résolution des conflits.

LES PRINCIPAUX DISPOSITIFS PARTICIPATIFS EN ENVIRONNEMENT AU QUÉBEC
Au Québec, dans le secteur de l’environnement, le développement de la participation publique est étroitement associé à celui de l’évaluation environnementale. Trois périodes marquent l’institutionnalisation de la participation publique en environnement.

Les années 1980 et 1990 : une institutionnalisation forte, centralisée et une autre option
Cette première période est marquée par la création, en 1978, d’une institution centralisée responsable de la participation publique : le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Le BAPE est créé dans la foulée de la refonte de la Loi sur la qualité de l’environnement. Il est responsable de tenir des audiences publiques au sujet des grands projets d’infrastructure assujettis à la procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement.

L’audience publique se fait en deux étapes : l’enquête et la recherche d’informations, puis l’expression des opinions. La première partie permet aux promoteurs de présenter leurs projets, et aux citoyens de poser des questions. L’objectif est que les participants aient accès à la même information pour être en mesure de présenter une opinion éclairée lors de la deuxième partie des audiences, lors de laquelle ils sont invités à présenter des mémoires verbaux ou écrits. Les audiences sont ouvertes à tous, et des avis et guides sont disponibles pour faciliter la participation.

La pratique du BAPE se distingue de deux manières. D’abord, les audiences publiques sont tenues par une organisation indépendante qui a la marge de manœuvre pour inviter des experts et demander des informations supplémentaires au promoteur du projet en examen, et qui doit s’assurer d’avoir compris les questions et avis des citoyens. Ensuite, elle donne une attention particulière à l’information en rendant accessible de la documentation pertinente et en organisant des soirées d’information sur le projet.

L’objectif est de donner de l’information aux citoyens, de rendre visibles leurs préoccupations et de contribuer à ce que les différentes parties prenantes « apprennent » de cet échange de renseignements et qu’ils soient ainsi en mesure de concourir de façon positive à l’enquête publique. Le rapport du BAPE, publié à la fin de la démarche, est habituellement riche en contenu, très attendu et directement lié au processus décisionnel en raison des avis et recommandations qu’il contient.

L’approche du BAPE a marqué et marque toujours profondément la pratique de la participation publique au Québec. Toutefois, à partir des années 1990, plusieurs acteurs sont insatisfaits et inconfortables avec la formule des enquêtes et audiences publiques du BAPE. Ils lui reprochent son caractère formel et institutionnalisé, son fonctionnement conflictuel, son intervention tardive dans le processus décisionnel et son issue trop incertaine.

Dans un tel contexte, de nouveaux dispositifs sont proposés pour compléter ou éviter la pratique des audiences publiques du BAPE. La médiation environnementale est un des dispositifs participatifs les plus emblématiques de cette recherche d’une autre méthode.

Depuis 1991, plus d’une cinquantaine d’expériences de médiation ont été menées. La médiation peut être envisagée par le ministre à la suite de requêtes demandant une audience publique sur un projet. Faisant appel à la négociation, ce dispositif vise à rapprocher les parties, lorsque la pertinence du projet n’est pas remise en question, afin d’arriver à une entente. Cette procédure administrative agit bien souvent comme un instrument de contrôle des oppositions.

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Les années 1990 et 2000 : une multiplication des dispositifs participatifs et une concertation ciblée
Cette deuxième période s’inscrit dans le contexte du développement d’une gouvernance marquée par la collaboration et le consensus. Sont alors mis sur pied des espaces permanents de participation plus décentralisés à l’échelle régionale, dans des sous-secteurs ou rattachés à des projets précis. On y recherche la souplesse et l’adaptation des solutions à l’aide d’instances hybrides.

Les conseils régionaux de l’environnement (CRE) sont des organismes autonomes reconnus comme interlocuteurs régionaux et ils jouissent d’un financement statutaire du gouvernement. Ils réunissent des organismes publics ou privés, des groupes environnementaux, des entreprises, des associations et des individus. Certains CRE sont plus revendicateurs et ont un profil de groupe de pression. Toutefois, le consensus prévaut dans leur fonctionnement interne.

Le fonctionnement par consensus comporte des exigences pouvant mener à des délibérations qui ne débouchent pas nécessairement sur des actions. Des dossiers prioritaires du point de vue environnemental sont également parfois évités.

Les démarches pour mettre en place une gestion intégrée du fleuve SaintLaurent ont mené à l’adoption, en 1988, du Plan d’action Saint-Laurent, qui comporte un volet participatif : le programme des zones d’intervention prioritaire (ZIP). Cet autre dispositif a pour but de dresser un bilan de connaissances, tout en le bonifiant à l’aide du savoir local afin d’établir un plan d’action.

La quinzaine de comités ZIP établis dans autant de secteurs le long du fleuve Saint-Laurent permettent un dialogue raisonné, dans lequel chacun dispose théoriquement des informations nécessaires pour établir les actions à mener. Les travaux qui se sont penchés sur les comités ZIP font état de plusieurs constats : les groupes organisés tirent mieux leur épingle du jeu que les acteurs autonomes, et la dominance du mode de fonctionnement consensuel laisse peu de place aux opposants et peut conduire à l’évitement des problématiques environnementales majeures.

De plus, la production de connaissances scientifiques et leur usage pour la décision, éléments centraux du mandat des ZIP, peuvent être une source de blocage et se traduire par une inégalité entre acteurs. Il y a en effet peu de place pour le conflit au sein de ce dispositif, et les exigences scientifiques et techniques sont telles qu’un roulement des acteurs favorise une certaine homogénéisation des profils et une relative fermeture du dispositif.

Durant cette période, des comités de suivi des grands projets sont également mis en place. Ils sont composés de divers groupes de participants et sont chargés d’assurer leur mise en œuvre et leur développement. Entreprises, élus locaux, citoyens, experts, fonctionnaires et groupes environnementaux en font notamment partie. Certains décrets gouvernementaux incluent des prescriptions relatives non seulement au suivi environnemental, mais également à la formation de comités de suivi.

Souvent encadrés et financés par les promoteurs de projets, ces dispositifs assurent une interface avec la société civile, conduisent des études, répondent aux plaintes et mènent des activités d’information et de sensibilisation. Ils sont également plutôt fermés, les participants sont parfois sélectionnés par le promoteur, et leur fonctionnement se caractérise par un consensus qui peut être implicite ou forcé. Les participants sont généralement des représentants d’autorités ou d’associations dans les territoires directement touchés par un projet.

Enfin, de 1988 à 1990, le BAPE tient ses premières audiences dites génériques. Il en conduira près d’une dizaine de manière régulière. Les audiences de ce type sont à la discrétion du ministre de l’Environnement. Il s’agit d’audiences publiques sur un sujet important ou un secteur et non sur un projet précis.

Reprenant la procédure d’une audience publique pour un projet, l’audience générique est ouverte et itinérante et cherche à saisir les principaux enjeux en vue de contribuer à la formulation d’une politique publique. Elle est habituellement basée sur un document d’information sur la filière ou le secteur concerné et parfois accompagnée d’orientations aux fins de discussions.

Depuis les années 2000 : diversité et fragmentation
La dernière période se caractérise par la diversité des dispositifs participatifs qui voient le jour et par une impression de fragmentation du secteur. De nouveaux dispositifs, plus restrictifs, plus volontaires et moins publics, émergent.

Pensés dès les années 1920 aux ÉtatsUnis, les organismes de bassins versants (OBV) se sont déployés au Québec à la suite de l’adoption de la Politique nationale de l’eau (2002). L’action des OBV repose sur une connaissance des phénomènes naturels et anthropiques du bassin versant, et est orientée vers l’élaboration d’un plan directeur cherchant à intégrer le savoir local. Elle a comme buts la concertation de l’ensemble des acteurs du secteur de l’eau concernés (municipalités ou MRC, groupes de citoyens, usagers du bassin versant, ministères ou organismes du gouvernement) et une meilleure intégration des multiples intérêts, usages, préoccupations et moyens d’action des forces vives du milieu. Tables de concertation à l’échelle des bassins versants (40  zones au Québec), les OBV sont reconnus par l’État, peuvent compter sur un financement statutaire annuel et ont également un mandat de consultation de la population.

Enfin, les promoteurs font eux-mêmes usage de divers dispositifs de participation afin de mieux prendre en considération les préoccupations des parties prenantes de leurs projets. Ces dispositifs sont volontaires, sur invitation et se situent habituellement en amont des audiences publiques du BAPE.

Si ces dispositifs sont parfois ouverts et inclusifs, ils se concentrent aussi souvent sur des acteurs qui sont en mesure d’établir un réel rapport de force avec le promoteur, notamment les élus provinciaux et locaux, les associations d’agriculteurs, de propriétaires et de gens d’affaires, les communautés autochtones. Ce dispositif privilégie une démarche consensuelle avec les participants sélectionnés.

MULTIPLICATION ET DIVERSIFICATION DES DISPOSITIFS DE PARTICIPATION PUBLIQUE: COMPLÉMENTARITÉ ET CONTREPOIDS
À observer les principaux dispositifs participatifs institutionnalisés dans le secteur de l’environnement au Québec, on constate, de manière générale, qu’il y a multiplication et diversification de ceux-ci. L’évolution des dispositifs participatifs en environnement s’est faite principalement autour de deux pôles : ouvert/fermé ; antagoniste/consensuel.

Le degré d’ouverture ou de fermeture d’un dispositif participatif fait référence à la sélection des citoyens invités à y participer. S’agit-il d’une démarche ouverte dont tous les citoyens peuvent faire partie, ou plutôt d’une sélection de participants sur la base de critères particuliers, comme le niveau d’expertise ou la représentativité ? La deuxième dimension concerne la forme des échanges entre les participants, entre, d’un côté, l’expression des conflits et des oppositions et, de l’autre, la collaboration et la recherche du consensus.

Avec les audiences publiques du BAPE, c’est un modèle très ouvert et plutôt antagoniste qui fait son apparition ; mais suivra l’ajout au cours des années 1990 de la médiation environnementale, qui privilégie la recherche de consensus parmi un ensemble très restreint d’acteurs.

La période des années 1990-2000 sera plutôt marquée par des dispositifs participatifs moins ouverts, plus permanents et hybrides, qui se déploient à l’échelle régionale en amont des projets, et se veulent plus consensuels. Ce modèle de type « nouvelle gestion concertée » de l’environnement apparaît plus décentralisé, intégré et plus ou moins ouvert dans l’ensemble concernant la représentation des acteurs régionaux, et se fait par projet. Sans oublier l’apparition des audiences dites génériques du BAPE et une invitation à délibérer à l’échelle des politiques publiques.

La période 2000-2010, quant à elle, se caractériserait par des dispositifs encore plus fermés, ciblés et techniques que ceux vus auparavant, relevant des promoteurs, fort différents dans leur nature, mais dans la suite des dispositifs mis en place durant la période précédente.

Ainsi nous pouvons observer une multiplication et une diversification des dispositifs de participation, qui au fil du temps se complètent, mais semblent surtout, par leur nature plus fermée et consensuelle, régionale et d’entreprise, faire contrepoids au modèle initialement ouvert, antagoniste et centralisé.

* Ce texte reprend et résume un propos développé plus longuement ailleurs. Voir : Bherer, Laurence, Mario Gauthier et Louis Simard. « Quarante ans de participation publique en environnement, aménagement du territoire et urbanisme au Québec : entre expression des conflits et gestion consensuelle ». Cahiers de géographie du Québec, vol. 62, no  175 (2018). Nous renvoyons le lecteur à ce texte pour une bibliographie complète.

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